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Tianjin au temps des concessions étrangères sous l’objectif d’André Bontemps (1931-1935)

Un récit visuel entre micro et macro-histoire

Fleur Chabaille, Author
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Marseille-Tianjin : le voyage vers la Chine


"Où allez-vous ? demandent parfois les gens à ceux qui s'embarquent. Où ? Est-ce que cela compte... Le but n'importe pas. Le voyage, pour moi, ce n'est pas d'arriver : c'est partir. C'est la saveur de la journée qui s'ouvre, c'est l'imprévu de la prochaine escale, c'est le désir jamais comblé de connaître sans cesse autre chose, c'est la curiosité de confronter ses rêves avec le Monde, c'est demain, éternellement demain."[1].

Tout commence le 15 janvier 1931, date du grand départ qui doit mener les Bontemps de Marseille à Tianjin. 

La carte présentée ci-dessous permet de retracer en images les principales étapes de ce long trajet.

 
Chaque visite se trouve de surcroît précisément datée grâce aux détails minutieusement renseignés au dos des photographies retraçant le périple. Il faut dire que ce dernier a de quoi être marquant même si ce n’est pas la première fois que la famille s’expatrie au complet. Quelques années auparavant, André Bontemps avait été affecté à la division d’occupation de la Tunisie de 1921 à 1925 pour servir à la gestion des vivres, puis au tribunal militaire de Constantine de 1928 à 1930 en tant que substitut du juge d’instruction militaire. Sa femme Thérèse, son fils Jean (né en 1918) et sa fille Jacqueline (née en 1922) l’accompagnent dans ses différents séjours à l’étranger.

Cette fois, le voyage vers la Chine s’inscrit d’emblée comme le plus long jamais effectué et offre de nombreuses occasions de dépaysements au cours des sept escales ponctuant chaque étape du voyage, de Port-Saïd à Shanghai, en passant par Djibouti, Colombo, Singapour, Saigon et Hong Kong. Dans chacune de ces villes, Bontemps capture quelques rares moments où la richesse de la découverte se mêle au caractère éphémère de la rencontre. Ces escales constituent autant d’étapes successives qui éloignent progressivement les expatriés de leurs repères culturels et les préparent à leur rencontre avec la Chine.

Quelques années plus tôt, le journaliste Louis Sabattier livre un récit vivant de cette même traversée en mer dont il souligne le dépaysement graduel de chaque escale :
"Le voyage en Chine par les Messageries Maritimes a ceci de charmant, sans parler des agréments du bord, qu'il est, en lui-même, un entraînement, une initiation. Les escales, à commencer par notre Marseille elle-même, en passant par l'infâme Port-Saïd, la sauvage Djibouti, Colombo tant vantée, Singapour au nom de féerie, Saigon la bien française (j'y ai vu une manifestation dans la rue, la veille des élections municipales du 5 mai), Hong-Kong et Changhaï, si britanniques, sont autant de doses d'exotisme habilement graduées, dirait-on, grâce auxquelles le plus emprunté des Parisiens peut, arrivé à Pékin, se donner des airs blasés de vieux globe-trotter. Il en a déjà vu de toutes les couleurs, c'est le cas de le dire. Et les cuisines infernales des Palace, Astor, Oriental ou European Hotels de ces pays merveilleux, lui ont été une école plus rude, peut-être, que les moussons, typhons, gros temps ou chaleurs tropicales; à ces derniers inconvénients on échappe souvent, à la cuisine en question, jamais."[2].
 
Du périple en mer et de ces différentes escales, on trouve un autre récit plus détaillé dans le roman Partir… de Roland Dorgelès. Sous une trame romanesque, l'auteur dépeint à merveille la vie à bord, ainsi que les impressions laissées aux voyageurs par les ancrages, à la fois momentanés et superficiels, dans les différents pays traversés.
 
Le voyage de Dorgolès, tout comme celui de la famille Bontemps, est effectué à bord de l'Athos II des Messageries Maritimes. À noter une inexactitude dans le texte de l'Encyclopédie des Messageries Maritimes : l'ouvrage Partir... a été publié en 1926 et non en 1937. Il a ensuite été adapté au cinéma par Maurice Tourneur en 1931. Par une pure coïncidence, il se trouve que certaines scènes du film ont été tournées à bord de l'Athos II au cours de la traversée de la famille Bontemps. C'est ce dont témoigne une photographie prise par André Bontemps.

Dorgelès retranscrit parfaitement l'émulation de départ du voyageur naviguant vers l'inconnu, entouré d'autres passagers habitués, voire blasés de la vie dans les destinations asiatiques :
"Rien que ces noms me grisent. Je tends l'oreille, je les respire… Pour moi, ils évoquent des îles merveilleuses, les jonques, les toits cornus, des pagnes roses et bleus sous les jasmins grimpants. Il y a des mots qui séduisent comme des visages. Ces inconnus, pourtant, les prononcent sans émotion. Ils ne pensent pas à l'aventure. Pour eux, vivre sur les bords du Fleuve Bleu ou dans la rizière annamite, parler d'opium, compter en piastre, se promener en pousse, est devenu aussi naturel que d'ouvrir un journal ou d'appeler un taxi. Ils rejoignent les Célèbes ou Hong-Kong comme un avoué sa province, un industriel son usine. L'habitude… Mais moi, je les écoute et, avec les mots qu'ils jettent en causant, je me construis un monde, je parcours avidement les mers. Ce n'est rien de connaître, il faut désirer."[2]. (...) "J'éprouve une griserie à sentir tout cet inconnu qui m'attend : les pays, les mœurs, les êtres, tout un beau livre de vivantes images… Autour de moi, c'est de l'inconnu encore, tous ces étrangers qui, peut-être, deviendront mes amis. Je les vois défiler en songe. Quelles déconvenues ou bien quelles joies me réservent-ils ? Je les observe, je les scrute…
Il me semble que deux voyages se confondent dans mon esprit : celui que je fais et l'autre, que je rêve. L'un donne ses fictions, l'autre ses découvertes. Les vivants, peu à peu, s'effacent, et les ombres s'animent."[3].

De manière poétique et exaltée, Dorgelès exprime également les premiers moments de découverte lors de l'entrée dans le détroit de Messine que Bontemps prend soin de capturer (1) et (2) :
"Une vapeur grise cachait à demi la terre, la fumée de l'Etna, mais peu à peu Messine se dégagea. Ce n'est qu'une banale agglomération de pesantes bâtisses, de longues casernes blanches, avec quelques maisons basses à leur pied, les douanes peut-être, tristes comme un lazaret, et mises en quarantaine au bout de la jetée. Quelque part, un long viaduc aux cent pattes. Çà et là, des villas riches sous les cyprès. La campagne s'étend, merveilleusement féconde, parée de vignes, dorée de lumière, et c'est un saisissant contraste que cette fumée du volcan amoncelant sa menace sur cette terre heureuse.
Messine disparue, on longe encore un long moment l'autre rive, la Calabre au rude visage. Puis une pointe de verdure, un sémaphore : c'est fini, le détroit est franchi."[4].
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