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Tianjin au temps des concessions étrangères sous l’objectif d’André Bontemps (1931-1935)

Un récit visuel entre micro et macro-histoire

Fleur Chabaille, Author

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Djibouti (25-26/01/1931) : Deuxième escale

Tout comme à Port-Saïd, Bontemps ne prend pas beaucoup de clichés de Djibouti à l'exception de quelques poses auprès d'enfants qui leur confèrent un caractère "exotique". 

Roland Dorgelès dresse un tableau pittoresque de cette escale d'un jour :
"A la mé ! A la mé !
Le paquebot n'avait pas encore laissé glisser l'ancre que déjà une nuée d'embarcations nous entouraient, chargées de négrillons tout nus qui gesticulaient en braillant, et qu'on entendit monter de tous côtés cette étrange clameur. A la mé ! cela signifie : "A la mer". C'est le salut des petits nageurs de Djibouti.
Ils étaient des douzaines qui piaillaient dans l'eau, leurs têtes rasées levées vers nous, et, à mesure que d'autres canots approchaient, on voyait des bonshommes noirs en jaillir, comme les poissons d'un panier, et plonger à leur tour en hurlant. En un instant, tous les passagers furent penchés au bastingage, et les pièces commencèrent à tomber.
Cela tenait du prodige : il ne s'en perdait pas une. C'était sur les vagues une pittoresque bousculade, une lutte de petits bras tendus qui attrapaient l'argent au vol. Quand la pièce tombait à l'eau, ils ne la quittaient pas des yeux : on les voyait se replier prestement sur eux-mêmes et ils piquaient vers le fond, étirant leurs quatre pattes, ainsi que des grenouilles. Soudain, on ne voyait plus flotter que des plantes de pieds à peu près blanches, poussées là comme de singuliers nénuphars, puis plus rien... Ils bataillaient sous l'eau, banc de poissons affamés. Le plus agile saisissait la pièce d'un coup de gueule, comme une carpe happe une mouche, et, remontés tous à la surface, d'une simple détente de jambe, ils reprenaient ensemble l'étonnante sarabande.
Ils ne semblent même pas nager : ils flottent, glissent et se tortillent, si légers que l'eau les porte. Les plus grands se hissaient jusqu'au pont-promenade, escaladant on ne sait comment la muraille du pic du navire, et ils plongeaient l'un après l'autre de ce cinquième étage en s'amusant.
- A la mé ! A la mé ! chantaient en choeur les négrillons d'en bas, la joue gonflée d'une chique de monnaie.
C'est devenu une sorte de cri national pour la marmaille de tout un peuple, et, lorsqu'on pénètre en Ethiopie, se dirigeant vers Addis-Abeba, il arrive que faisant halte dans un village, après trente heures de chemin de fer, le train soit brusquement assailli par une bande de moricauds qui n'ont jamais vu la mer, mais qui braillent quand même A la mé ! en gambadant sur le quai, convaincus que cela signifie quelque chose comme : "Jetez-nous des sous !"
(...) le spectacle commençait. C'étaient tout bonnement les voitures de place qui leur faisaient pousser des cris. Certes, on trouve encore, même en Europe, des véhicules comiques, des pataches baroques, des fiacres extravagants, mais il n'y en a pas qui égalent en cocasserie, en vétusté, en délabrement, les gharris de Djibouti. Ce sont d'invraisemblables guimbardes dont une seule ferait la fortune d'un cirque, des carrioles disloquées qui ne tiennent plus qu'avec des clous et des bouts de corde, d'antiques victorias embellies de bidons en guise de lanternes, des landaus de chiffonniers, rafistolés avec des planches et rehaussés d'un dais pisseux, tout cela traîné, cahin-caha, dans un bruit de ferraille, par des bidets rogneux, tandis que les cochers nègres beuglent, debout sur leur siège, comme s'ils conduisaient leurs clients au bûcher.
(...) Dès le premier regard, Djibouti l'enchantait. Ce n'est pas beau : c'est surprenant. Tout est neuf, d'un blanc qui aveugle. De grands blocs de maçonnerie troués de fenêtres mauresques, des terrasses où rebondit le soleil, une place tirée au cordeau, des angles nets, de grands pans d'ombre : on dirait l'oeuvre d'un cubiste. C'est propre, c'est nu. Un vide rectiligne et silencieux, avec des bouts de palmiers qui dépassent les murs. Blanc des maisons, blanc des burnous, blanc des casques, blanc des sourires, blanc du sable qui scintille, et, en contraste, le noir pullulant des mioches qui courent, de leurs têtes tondues à ras, et de leurs ventres ronds et durs d'où le nombril sort comme un colimaçon. C'était l'heure de la sieste, et toutes les façades avaient leurs persiennes fermées : la banque, la poste, les bureaux. Pas un chaland dans les boutiques : les arcades étaient désertes. La place Ménélik s'étalait, éblouissante, et quelques somalis seulement y traînaient leur ombre.
"[1].
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