Photographic Histories - Saison 3/Episode 2 : quatre compositions historiographiques, d'après Li Huai
Je dédie ce billet et les compositions qu'il accompagne à l'artiste Li Huai, qui m'a gentiment permis de rendre visibles quelques-unes des très belles photographies qui constituent sa série "Legacy" (2012) : un témoignage photographique des traces actuelles de la Révolution culturelle dans la région du Jiangxi.
Dans un de ses messages, l'artiste se disait impatiente de lire mes réflexions SUR ses photos ("thoughts ON"). Mais de mon côté, je songeais plutôt à des réflexions A PARTIR ou AVEC (WITH/THROUGH) les photographies : pouvais-je penser et écrire à partir et avec la matière même de ces images ? Pouvais-je construire un récit purement visuel, qui aurait été l'hommage le plus fidèle rendu à la photographe, d'une part, à la genèse visuelle de ces réflexions, d'autre part, dans la mesure où ces "thoughts" étaient justement nées de ces images lors d'une projection en présence de l'artiste, de ces images et de ces images seules - ma trop fragile connaissance du chinois me rendant incapable de déchiffrer les slogans et les inscriptions sur les murs photographiés ? Ainsi, comment pouvais-je mieux reproduire l'émergence visuellement guidée (visual driven) de ces pensées, sinon en essayant de composer un récit lui-même entièrement visuel ? Un récit qui tenterait de recréer cette genèse visuelle, à sa manière, en évitant que le flot ex post des mots ne vienne submerger les photographies qui leur avait donné naissance ? En évitant que le texte-enfant ne vienne de ses cris, de ses pleurs et ses bavardages, cannibaliser les images-mères et en étouffer la voix ?
Je ne fais pas de ces photographies d'artiste un usage documentaire ou historien. Mes récits visuels n'ont ici aucune prétention à une quelconque "scientificité" et ne sont pas animés par une quête de "vérité" historique. Ils se donnent eux aussi comme sensibles : guidés plus modestement par des émotions et des associations d'images-idées que m'ont inspirées le travail de l'artiste.
Après une première tentative sur la plateforme Hypothèses, j'ai pris conscience des contraintes du format blog et le statisme de la page web. Un format trop statique mais aussi trop logocentré, bien impropre à la "raison graphique" (Jack Goody) que je cherche à déployer ici : une logique visuelle idéalement pure, fondée sur l'association d'idées-images et guidée par le seul itinéraire du regard. Un itinéraire balisé, certes, mais en partie tracé par l’œil du lecteur - spectateur. Une logique de la suggestion et de la proposition, plutôt que l'affirmation ou l'injonction. Je ne cherche pas à imposer un sentier battu, mais à suggérer des pistes au lecteur-spectateur qui peut à chaque nouvelle lecture visuelle emprunter un chemin différent, celui lui sied le mieux, voire en inventer de lui-même. Je cherche à rendre le lecteur co-acteur et co-auteur de ce récit visuel, complice et co-responsable de mon itinéraire de pensée et d'écriture.
Je dois ici reconnaître ma dette envers trois sources d'inspiration majeures pour ces compositions :
1. Métaphore : procédé de l'association d'idées-images
2. Anachronie : un procédé qui reprend sous forme de diptyque le principe du vis-à-vis évoqué plus haut, à l'exemple du vis-à-vis diachronique entre le vieux Paris d'Atget au tournant des XIXe-XXe siècles et le Jiangxi de Li Huai au tournant des XXe-XXIe siècles dans la première composition).
3. Chromatismes : c'est dans la quatrième composition, la plus complexe à mon avis, que j'ai pu expérimenter ce procédé quasi pictural. La quatrième composition se présente comme polyptyque polychrome, qui joue une fois de plus sur les échelles (passage de la vue d'ensemble au détail) et qui surtout mobilise la couleur comme procédé narratif à part entière. La couleur est ici doublement exploitée :
Les photographies de Li Huai et mes compositions semblent privilégier les couleurs primaires, en un double sens :
Je ruserai peut-être dans une cinquième composition pour élargir malgré tout le spectre de mon chromatisme narratif. J'imagine une composition verbale qui reconstituerait les images interdites, dans une sorte de devenir texte des images qu'on ne peut montrer - offrant par là-même au texte une ultime occasion de revanche sur l'image ? Une composition où le texte reprendrait ses droits sur l'image bannie ? Revanche ou réconciliation ? Car en soumettant le texte à une logique visuelle et spatiale, ne devient-il pas image lui-même ? Peut-on réaliser une mise en texte de l'image, et, symétriquement, une mise en image du texte, pour mettre un terme à cette lutte fratricide qu'on suppose toujours entre le texte et l'image ? Nous verrons bientôt si ce projet de composition finale permettra une telle réconciliation....
Dans un de ses messages, l'artiste se disait impatiente de lire mes réflexions SUR ses photos ("thoughts ON"). Mais de mon côté, je songeais plutôt à des réflexions A PARTIR ou AVEC (WITH/THROUGH) les photographies : pouvais-je penser et écrire à partir et avec la matière même de ces images ? Pouvais-je construire un récit purement visuel, qui aurait été l'hommage le plus fidèle rendu à la photographe, d'une part, à la genèse visuelle de ces réflexions, d'autre part, dans la mesure où ces "thoughts" étaient justement nées de ces images lors d'une projection en présence de l'artiste, de ces images et de ces images seules - ma trop fragile connaissance du chinois me rendant incapable de déchiffrer les slogans et les inscriptions sur les murs photographiés ? Ainsi, comment pouvais-je mieux reproduire l'émergence visuellement guidée (visual driven) de ces pensées, sinon en essayant de composer un récit lui-même entièrement visuel ? Un récit qui tenterait de recréer cette genèse visuelle, à sa manière, en évitant que le flot ex post des mots ne vienne submerger les photographies qui leur avait donné naissance ? En évitant que le texte-enfant ne vienne de ses cris, de ses pleurs et ses bavardages, cannibaliser les images-mères et en étouffer la voix ?
Je ne fais pas de ces photographies d'artiste un usage documentaire ou historien. Mes récits visuels n'ont ici aucune prétention à une quelconque "scientificité" et ne sont pas animés par une quête de "vérité" historique. Ils se donnent eux aussi comme sensibles : guidés plus modestement par des émotions et des associations d'images-idées que m'ont inspirées le travail de l'artiste.
Après une première tentative sur la plateforme Hypothèses, j'ai pris conscience des contraintes du format blog et le statisme de la page web. Un format trop statique mais aussi trop logocentré, bien impropre à la "raison graphique" (Jack Goody) que je cherche à déployer ici : une logique visuelle idéalement pure, fondée sur l'association d'idées-images et guidée par le seul itinéraire du regard. Un itinéraire balisé, certes, mais en partie tracé par l’œil du lecteur - spectateur. Une logique de la suggestion et de la proposition, plutôt que l'affirmation ou l'injonction. Je ne cherche pas à imposer un sentier battu, mais à suggérer des pistes au lecteur-spectateur qui peut à chaque nouvelle lecture visuelle emprunter un chemin différent, celui lui sied le mieux, voire en inventer de lui-même. Je cherche à rendre le lecteur co-acteur et co-auteur de ce récit visuel, complice et co-responsable de mon itinéraire de pensée et d'écriture.
Je dois ici reconnaître ma dette envers trois sources d'inspiration majeures pour ces compositions :
- d'abord le cinéma muet (notamment le Modern Times de Chaplin), ou encore ce déroutant roman-graphique, trop peu connu, de Martin Vaughn-James, intitulé The Cage (1975). Ces deux références m'ont inspiré précisément les modalités d'articulation entre images et textes minimalistes, l'itinéraire visuel guidé par le déplacement du regard, et les jeux d'échelles ou de focale d'une image à l'autre.
- ma troisième source provient des bandes dessinées d'Enki Bilal, qui a particulièrement enrichi mes réflexions sur les couleurs et ma composition chromatique.
- le texte comme titre : le plus économique et minimaliste possible, afin de ne pas étouffer les images, ces textes visent simplement à suggérer une orientation narrative ou une interprétation. On reconnaîtra ici un procédé du cinéma muet, une familiarité avec certaines pages de The Cage.
- le texte comme légende de l'image : pour des textes plus longs, avec ce regret toutefois que la légende s'impose et s'affiche systématiquement, sans qu'il soit possible de rendre optionnelle sa mise en visibilité. On aimerait pouvoir rendre cette apparition facultative, par un simple clic, ou par le passage du curseur sur l'image. Scalar y remédie partiellement, puisqu'il permet d'afficher ou non les détails et les commentaires qui accompagnent les médias.
- le texte autonome : pour les textes vraiment très longs, résultant d'une amplification textuelle des images provoquée par l'émotion ou les associations qu'elles suscitent, j'ai choisi de laisser ces paragraphes d'un bloc, en les plaçant sous les images, ou à côté en vertu de la "split view", pour maintenir la primauté de ces dernières, et éviter la submersion verbale tant redoutée.
- un principe de juxtaposition ou de vis-à-vis : pour reproduire une logique d'associations d'images et d'idées, non seulement entre les images (Li Huai - Atget ou Li Huai - Vermeer dans la première composition), mais aussi entre des images et des textes (Li Huai - Vermeer - Proust dans la quatrième composition) dans le but de suggérer plutôt que d'imposer un ordre de lecture ou une interprétation ;
- un principe de succession et construction de séquences visuelles : qui aboutit à tracer un itinéraire mi-libre, mi-guidé plutôt qu'un récit unilinéaire, en jouant notamment sur les échelles (quatrième composition), les changements de focale, les déplacements de regards et de points de vue.
1. Métaphore : procédé de l'association d'idées-images
- métaphore plutôt verbale - guidée par le mot (métaphore de la coupe géologique dans la deuxième composition, ou du palimpseste dans la troisième)
- métaphore plutôt visuelle - guidée par l'image (mimétisme mural dans la troisième composition)
2. Anachronie : un procédé qui reprend sous forme de diptyque le principe du vis-à-vis évoqué plus haut, à l'exemple du vis-à-vis diachronique entre le vieux Paris d'Atget au tournant des XIXe-XXe siècles et le Jiangxi de Li Huai au tournant des XXe-XXIe siècles dans la première composition).
3. Chromatismes : c'est dans la quatrième composition, la plus complexe à mon avis, que j'ai pu expérimenter ce procédé quasi pictural. La quatrième composition se présente comme polyptyque polychrome, qui joue une fois de plus sur les échelles (passage de la vue d'ensemble au détail) et qui surtout mobilise la couleur comme procédé narratif à part entière. La couleur est ici doublement exploitée :
- le récit est orienté par les couleurs de l'image (color-driven narrative) d'une part ;
- le récit est lui-même écrit avec des couleurs, au moyen de couleurs (colored narrative), d'autre part : formant un récit pictural et chromatique, en somme.
Les photographies de Li Huai et mes compositions semblent privilégier les couleurs primaires, en un double sens :
- au sens littéral et technique : le rouge, le jaune, et ailleurs, le bleu...
- au sens figuré, puisque comme la couleur prime sur tout autre logique pour devenir le procédé narratif premier et primordial...
Je ruserai peut-être dans une cinquième composition pour élargir malgré tout le spectre de mon chromatisme narratif. J'imagine une composition verbale qui reconstituerait les images interdites, dans une sorte de devenir texte des images qu'on ne peut montrer - offrant par là-même au texte une ultime occasion de revanche sur l'image ? Une composition où le texte reprendrait ses droits sur l'image bannie ? Revanche ou réconciliation ? Car en soumettant le texte à une logique visuelle et spatiale, ne devient-il pas image lui-même ? Peut-on réaliser une mise en texte de l'image, et, symétriquement, une mise en image du texte, pour mettre un terme à cette lutte fratricide qu'on suppose toujours entre le texte et l'image ? Nous verrons bientôt si ce projet de composition finale permettra une telle réconciliation....
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