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Historiographics

Un champ d'exploration pour des narrations alternatives à dominante visuelle

Cécile Armand, Author

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Composition 1 (d'après Li Huai) - Anachronies

Le paradoxe photographique : des photographies indécises et indécidables

Des photographies qui hésitent et oscillent entre deux "visions" de la Révolution culturelle, et se refusent à tout manichéisme. La Révolution n'a été ni toute blanche ni toute noire, semblent nous "dire" ces images : en témoignent la polychromie interne à la série (quatrième composition), que le choix esthétique du noir et blanc ne parvient pas (et ne cherche pas ?) même à dissimuler. Des photographies à la fois très sombres, douloureuses, qui nous rappellent que la Révolution est passée et a échoué, qu'elle a certes été un bain de sang à l'origine de nombreuses pertes humaines et de destructions matérielles. Mais aussi des photographies nostalgiques par certains côtés : une impression suggérée par le choix du noir et blanc, qui me rappellent les photographies d'Eugène Atget capturant ce vieux Paris en train de disparaître sous les poussées d'une "modernisation" urbaine à la fois accueillie comme un progrès, mais aussi redoutée comme une vague effaçant irrésistiblement les derniers repères d'un monde familier. Une Révolution rouge mais qu'on regrette déjà pourtant... à la lueur d'un présent consumériste et matérialiste, ou tout se vend et tout s'achète, où les valeurs fondamentales sont inversées, où l'humain semble chaque jour davantage subsumé sous le monétaire, la période de la Révolution culturelle n'était pas si noire, pas toute noire en tout cas. Nostalgie d'une période où l'on pouvait encore croire et porter des idéaux, sans risquer le discrédit ou la moquerie. Une période où l'on pouvait encore penser et rêver un avenir et s'installer dans un temps long. Une époque où l'on vivait chichement mais où l'on vivait tout de même. Une époque pas si terrible au fond, telle que nous la peint notre mémoire sélective et déformante sans doute, informée par la cruauté d'un présent hanté par la crise et une barbarie d'un genre nouveau. Une nostalgie qui rappelle celle, plus contemporaine, que ressentent parfois les habitants des ex-pays soviétiques : une Allemagne de l'est pleurant la période soviétique, ou même Italie fantasmant les promesses fascistes d'une grandeur impériale ressuscitée. Un tropisme nostalgique partagé peut-être par tous les pays en "crise".

Par ce choix du noir et blanc, l'artiste n'ajoute-t-elle pas ici sa propre "couche" nostalgique, qu'elle l'éprouve elle-même ou non ? Entre Li Huai et Eugène Atget, cette même impression d'un monde en train de disparaître, ou déjà disparu, les mêmes sujets, les mêmes motifs. Des inscriptions et des enseignes, des rues désertes et dépeuplées, à l'exception de quelques fantômes d'humains parfois, plus impalpables que des ombres. Des photographies de murs dénudés, de portes fermées, d'affiches arrachées, d'inscriptions effacées, d'ordures balayées et de cendres dispersées. De rares traces de vie pourtant, qui se glissent dans les fissures de ces murs délabrés, dans les interstices de portes imparfaitement fermées, qui trahissent une certaine persévérance vitale, une percée du présent sous les couches de souvenirs et de débris du passé révolutionnaire, la présence discrète mais obsédante d'un labeur humain quotidien : chemise bleue suspendue, tas de bois soigneusement rangé, parapluie provisoirement abandonné au seuil d'une porte, le temps d'une visite de courtoisie ?
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