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Tianjin au temps des concessions étrangères sous l’objectif d’André Bontemps (1931-1935)

Un récit visuel entre micro et macro-histoire

Fleur Chabaille, Author

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Commerces de rue et vie urbaine


L'un des aspects les plus remarquables et précieux du fonds Bontemps réside dans les instantanés du quotidien qu'il livre à l'historien, au-delà des événements exceptionnels et cérémonies mêlant le sensationnel au folklore. De nombreux petits commerces de rue et captures de vie quotidienne se détachent de l'ensemble visuel : un marchand de fleurs, des transporteurs de marchandises, des vendeurs (1), (2), (3), (4), diverses scènes de rue (1), (2), mais aussi des portraits (1), (2).

Plusieurs plans filmés dans les concessions et la vieille ville chinoise enrichissent ces tableaux figés. Par leur mouvement, ils restituent l'atmosphère grouillante de la ville tout en soulignant l'importance du commerce, de la sociabilité et des échanges extérieurs dans la vie urbaine chinoise. En témoigne par exemple ce repas collectif partagé en plein air dans la Davenport Road (actuelle Jianshe lu 建设路) de la Concession britannique (identifiable grâce à la pancarte accrochée au mur). Cette brève scène de rue révèle également des instants de vie quotidienne de résidents chinois en 1934. D'autres films contiennent des prises de vue encore plus précises et variées.

Quatre d'entre eux ont plus particulièrement retenu notre attention. Chacun présente un lieu et dépeint visuellement l'atmosphère qui s'y rattache. Le premier montre Jacqueline Bontemps, talonnée de près par un "boy" empressé, sortir de la maison familiale. Elle est ensuite filmée près du Pont International selon un angle de vue qui attire aussi l'attention sur l'arrière-plan de la ville en mouvement, marquée notamment par le passage du tramway sur le pont. Les plans suivants ont sans doute été pris dans la Concession française ou l'ancienne Concession russe, devenue le troisième district spécial. On y voit de grandes charrettes transportant les marchandises des entrepôts jusqu'aux navires amarrés au quai. Selon Liu Haiyan, ce détail a son importance car il confirme la localisation du film. Des charrettes ou voiturettes de cette dimension ne se rencontrent en effet que dans les concessions ou anciens territoires concessionnaires, et non dans la vieille ville chinoise où circulent essentiellement de petits véhicules. Les images suivantes s'attardent sur un vendeur de galettes (peut-être les crêpes typiques de Tianjin, jianbing guozi 煎餅果子) et de beignets (youtiao 油條) préparés à l'avance et empilés à côté. Derrière l'homme qui prépare les galettes, on aperçoit des affiches sur lesquelles sont inscrits les caractères : Shanghai zhanshi 上海戰事. Elles évoquent les affrontements qui ont opposé Chinois et Japonais durant trente-trois jours restés dans la postérité sous le nom de "guerre de Shanghai" (en chinois : Yi erba shibian 一·二八事變 "incident du 28 janvier")[1]. Cet élément permet de contextualiser les prises de vue que l'on peut dater de 1932-1933. La caméra retourne ensuite à nouveau sur le Pont International où les circulations denses apparaissent en toile de fond. Quelques plans très brefs à la toute fin du film ont été capturés à l'occasion du départ de M. Goyennèche, payeur adjoint de 1ère classe. On sait qu'il s'agit de Goyennèche puisque Bontemps a lui-même inscrit cette indication sur la bobine du film. L'Ancre de Chine nous apprend par ailleurs que le payeur adjoint a quitté Shanghai le 2 juin 1934[2]. Ce court passage a donc sûrement été filmé quelques mois après le reste de la séquence près du Pont international. Il est par ailleurs possible qu'une partie ait été détériorée.

Le deuxième film commence à bord d'un pousse-pousse qui se dirige vers la cathédrale Saint-Joseph de Laoxikai (Xikai jiaotang 西開教堂). S'ensuit une plongée dans le quotidien marchand du quartier. On observe d'abord l'échoppe d'un fabricant de cercueils, puis des personnes en train de repriser des vêtements et chaussettes usés, un homme en train de boire de la bouillie devant une pharmacie, un vendeur de bois utilisé pour la cuisine et le chauffage, des vendeurs de baozi 包子 (brioches farcies), un homme qui répare les cruches d'eau, un transporteur qui tire une charrette avec des meubles, un vendeur d'huile, un cordonnier, un homme transportant de la glace, des pêcheurs, de nouveau un transporteur de meubles, une vieille femme ramassant du bois, puis une grosse charrette de glace, des hommes en train de couper du bois, un vendeur de crevettes et enfin un vendeur de bois. Compte tenu de la concentration de barques, le canal où sont filmés les pêcheurs pourrait être situé à la confluence du Ziya he 子牙河 et du Beiyun he 北運河.

Le troisième film débute par une prise de vue de la cathédrale Notre-Dame des Victoires (Wanghailou jiaotang 望海樓教堂) avec quelques plans sur des enfants qui jouent à proximité. Puis, Bontemps se rend dans la vieille ville avec son ami M. Delfau que l'on identifie clairement sur les dernières images.

Le quatrième film offre un aperçu encore plus riche de la vieille ville. Puis, on peut y voir très brièvement (entre les 17e et 19e secondes) l'un des ponts les plus anciens de Tianjin qui s'ouvre horizontalement (xuanzhuan qiao 旋轉橋 ou "pont tournant"). Il s'agit sans doute du pont Jintang qiao 金湯橋, conçu par un architecte belge et édifié en 1906[3]. Grâce aux progrès techniques, les ponts construits ultérieurement ont pu être ouverts en leur centre et leurs battants soulevés de chaque côté. Les images suivantes ont été prises à proximité de la cathédrale Notre-Dame des Victoires que l'on entrevoit au loin dans le quartier de Sancha hekou 三岔河口, lieu de confluence de trois cours d'eau qui alimentent le Haihe 海河 : le Ziya he 子牙河, le Nanyun he 南運河 et le Beiyun he 北運河. Il s'agit de l'un des ports les plus anciens de la ville, devenu un centre majeur de distribution des marchandises, d'où son appellation de "berceau de Tianjin" (Tianjin de yaolan 天津的搖籃)[4]. Bontemps capture également des images de l'ancien yamen[5] du vice-roi de la province du Zhili du temps notamment de Li Hongzhang 李鴻章 (1823-1901) et de Yuan Shikai 袁世凱 (1859-1916). Par la suite, les bâtiments ont abrité les bureaux du gouvernement local de Tianjin (difang zhengfu 地方政府).
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