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Tianjin au temps des concessions étrangères sous l’objectif d’André Bontemps (1931-1935)

Un récit visuel entre micro et macro-histoire

Fleur Chabaille, Author
Lectures micro, page 1 of 3
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Pratiques funéraires


André Bontemps porte un intérêt tout particulier à des aspects jugés "exotiques" et atypiques du quotidien, en particulier les enterrements. Certains, particulièrement grandioses à l'époque, attirent les regards curieux et intrigués de bon nombre d'observateurs étrangers. Les prises de vue des processions funéraires qui accompagnent les enterrements révèlent de précieux détails sur l'évolution des pratiques funéraires.

Par exemple, cette procession funéraire n'aurait, selon Liu Haiyan, pas pu avoir lieu en 1900. Pendant plusieurs décennies après l'établissement des concessions, il était en effet interdit d'organiser de tels défilés. Ce n'est qu'avec l'installation croissante de riches Chinois dans les concessions que ces processions commencent à être tolérées et deviennent de plus en plus fréquentes sous la période républicaine (1912-1949). Le film de Bontemps montre les hommages rendus à un personnage important dont la richesse et l'influence se mesurent à l'ampleur de l'assistance et à la composition du cortège. Les toutes premières images montrent des hommes dont l'accoutrement permet de les identifier comme des moines taoïstes. Ils sont suivis par un orchestre occidental qui précède le défilé des membres de la famille. Vêtus tous de blanc, ils ajoutent à leur tenue des attributs distinctifs selon leur lien de parenté avec le défunt. Ces détails vestimentaires doivent permettre de les identifier immédiatement au sein du cortège des proches. Les hommes qui portent un chapeau blanc sont les descendants directs (zhixi qinshu 直系親屬). Les petits-fils arborent en plus une petite boule rouge sur le côté gauche de leur chapeau. Les femmes de la famille qu'on ne voit pas sur le film ne sont pas coiffées d'un chapeau, mais d'un bandeau blanc. A leur suite apparaît le catafalque contenant le cercueil du défunt et soutenu par de nombreux porteurs. Enfin, une calèche transportant des objets en papier à brûler aux côtés du défunt clôture la procession.

Dans ses souvenirs d'enfance, Desmond Power livre une description précise et vivante de l'une des processions à laquelle il a assisté : "Les tambours n'étaient pas les tambours retentissants du Régiment des Queens, les cuivres n'étaient pas les soubassophones (sousa) du 15èmeRégiment d'infanterie américain, et les clairons ne reproduisaient pas le staccato assourdissant du 16ème Régiment d'infanterie coloniale [français]. Non Monsieur, seul un type d'orchestre pouvait faire un tel ravage du Gloire ! Gloire ! Alléluia ! - un orchestre funéraire. Et, bon sang, s'il s'agissait de l'enterrement de quelque grand mandarin, c'était un vrai régal des yeux, un mélange d'extraordinaire et de bizarre, surpassant même le meilleur de Barnum & Bailey [compagnie de cirque américaine]. Les premiers à défiler étaient les membres de l'orchestre lui-même, chaque membre coquettement paré des plumets et galons d'or de la vieille garde napoléonienne ; puis dans une procession continue : des jeunes enguirlandés de fougères en papier ondoyant vers le haut comme pour balayer le ciel ; des guerriers de la dynastie des Qing chevauchant des poneys mongols dont on entend le clic-clac des sabots ; des Lamas en robe couleur safran en train de taper sur des tam-tams et de produire avec leur cor des Alpes long de douze pieds des grondements qui glacent le sang ; des porteurs de parasols éblouissant les yeux des tapisseries éclatantes de leurs parasols impériaux ; des moines taoïstes entonnant des chants, faisant résonner des cymbales, et jouant de la flûte de Pan ; une paire de démons imposants, l'un au visage écarlate qui grimaçait hideusement, l'autre au visage pâle de fantôme avec un sourire bienveillant figé ; ensuite, une voiture décapotable affichant un portrait encadré du défunt, son regard fixé sur le cortège des personnes en deuil vêtues de la tête aux pieds de toile blanche (vous pouviez facilement reconnaître celles embauchées à leurs gémissements, leur manière de se battre la poitrine et de se tirer les cheveux); puis le paroxysme de la procession, un immense catafalque vermillon porté par de nombreux porteurs (officiellement soixante-quatre) vêtus de vestes vertes avec des pompons rouges et chantant à l'unisson pour alléger la puissante charge ; et enfin, à la traîne, une succession de fausses limousines en papier mâché, de calèches, de palanquins, de maisons, d'animaux domestiques, de concubines, et de pièces - argent - papier monnaie - des paniers et des paniers à la suite ; l'ensemble de ce lot sacré devait être brûlé à côté de la tombe, les flammes étant censées transformer le tout en de véritables objets pour l'usage personnel du cher défunt quand il atteindra sa demeure céleste... "[1].

Sur d'autres photos de Bontemps, on visualise plus clairement les détails évoqués par Power : l'orchestre funéraire, les porteurs de parasols, les bannières funéraires, les maisons mortuaires (1), (2), (3), (4) et les cavaliers en papier mâché destinés à être brûlés pour l'usage du défunt dans l'au-delà, les moines taoïstes, le cortège des proches vêtus de blanc (1), (2) et celui des calèches, ainsi que les porteurs du catafalque (1), (2).

L'explication de Power concernant les bannières funéraires qu'il nomme "fougères" est erronée. Désignées en chinois sous le terme de dafan 打幡 ou yangfan 揚幡 que l'on retrouve dans l'expression yangfan zhaohun 揚幡招魂, ces bannières n'ont pas pour fonction de "balayer le Ciel", mais plutôt de guider l'âme du défunt lors de la procession afin qu'elle ne se perde pas en chemin et parte ensuite au Ciel avec la fumée des effigies brûlées à son intention.

Pour plus de renseignements sur la place et la gestion de la mort dans les grandes villes (en particulier à Shanghai) durant la période républicaine, on pourra se référer à l'ouvrage suivant : Henriot, Christian (2016), Scythe and the City: A Social History of Death in Shanghai. Stanford: Stanford University Press.
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