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Tianjin au temps des concessions étrangères sous l’objectif d’André Bontemps (1931-1935)

Un récit visuel entre micro et macro-histoire

Fleur Chabaille, Author

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Les vacances à Shanhaiguan et Beidaihe


Outre les déplacements liés à sa fonction, André Bontemps, comme la plupart des militaires français nommés en Chine du Nord, peut profiter de moments de détente et de loisir dans deux villes situées à environ 200 kilomètres de Tianjin : Shanhaiguan 山海關 et Beidaihe 北戴河. C’est l’occasion pour la famille de baignades en mer et d’excursions dans la montagne environnante. Le lieu ne manque pas d’attrait pour des vacanciers avides d’aventures exploratrices ou plus simplement d’un repos salvateur. Le fonds Bontemps qui renferme une proportion importante de photos et de films pris à Shanhaiguan témoigne de la préciosité de ces courts séjours dans la vie des expatriés militaires.

Louis Sabattier résume parfaitement la vocation balnéaire du lieu : "Chan Haï Kouan [Shanhaiguan], à douze heures de chemin de fer de Pékin, est le Trouville du Tché Li [Zhili 直隸] ; c'est là que la Grande Muraille vient aboutir à la mer. Les résidants qui peuvent quitter la capitale pendant quelques semaines y vont, à la chaude saison (41°à l'ombre aujourd'hui) se reposer et respirer autre chose que de la poussière. Ceux que leurs occupations retiennent à la ville y envoient leurs femmes et leurs enfants; le vendredi ou le samedi ils prennent le train des maris et reviennent, le lundi, à leurs bureaux. Quelques-uns, plus fortunés ou jouissant de plus de loisirs, vont passer l'été au Japon."[1].

Occupée à la même époque que Qinhuangdao 秦皇島 en 1900, Shanhaiguan abrite des détachements de sept des nations alliées ayant participé à l’expédition punitive contre les Boxeurs. Située au cœur de voies de communication majeures de la Chine du Nord, la ville constitue une étape militaire stratégique. En octobre 1901, l'arrivée des 5ème et 6ème compagnies du 16ème Régiment d’Infanterie Coloniale s'accompagne de la construction des casernements Lefèvre. Cette situation se maintient jusqu'en 1910, date à laquelle l’effectif est ramené à une section. Pendant la Première Guerre mondiale, le poste est réduit à quelques hommes placés sous le commandement d’un officier de réserve mobilisé sur place. Par ailleurs, une compagnie de tirailleurs tonkinois tient garnison dans la ville jusqu'en 1923. Les détachements allemands, autrichiens et russes disparaissent définitivement après la guerre. Dans les années 1930, Shanhaiguan ne compte plus qu’un poste anglais occupé seulement l’été, un petit détachement italien, une importante garnison japonaise, ainsi qu’une garnison française d’une cinquantaine d’hommes. Chaque année, de juin à septembre, cette dernière est renforcée par la venue de militaires de Chine du Nord qui viennent passer un séjour d’environ trois semaines[2].

A Shanhaiguan, littéralement la passe entre montagne et mer, le voyageur est attiré par le pittoresque du paysage dans lequel s’inscrit une partie de la Grande Muraille (1) et (2) qui semble se jeter dans la mer. Cinq villas militaires sont mises à la disposition des familles d’officiers et de sous-officiers. Un article de L'Ancre de Chine consacré à la ville précise que certaines familles civiles de Tianjin et de Beijing s’y rendent aussi, préférant son "atmosphère simple et familiale" à la "vie plus agitée et plus mondaine" de la plage de Beidaihe[3]. Celle-ci est sans doute la plus fréquentée par les résidents étrangers des alentours. Selon Liu Haiyan, la plupart d'entre eux ne vivent pas à Shanhaiguan mais à Beidaihe où ils achètent, louent ou font construire des maisons. Ils vont ensuite régulièrement s'amuser à Shanhaiguan. Jacqueline Dubois, journaliste d’origine russe ayant passé son enfance et une partie de sa jeunesse à Tianjin des années 1920 aux années 1940, raconte ses souvenirs de séjour à Beidaihe. Elle décrit notamment les déplacements à dos d’âne et les villas des étrangers situées au bord de mer[4]

Plusieurs films de Bontemps (1)(2)(3) et (4) donnent un aperçu des baignades en famille, des trajets en trolley et à dos d'âne (1) et (2), ainsi que du quotidien durant cette période estivale. La vie s’organise principalement autour des allers et venues (1) et (2) entre le camp situé dans un sous-bois à proximité d’un petit village, les villas, telles que la villa Massige (1) et (2), les activités de loisir au tennis du commandant des troupes françaises de Chine (1) et (2), ainsi qu'à la plage française[3]. Chaque nationalité dispose en effet de son propre espace dont la répartition (notamment entre plages française et anglaise) apparaît sur les photographies de Bontemps. De l'autre côté, on trouve le village des "boy" et mafu 馬伕 (palefreniers) chinois (1) et (2). Les implantations étant essentiellement militaires et ponctuellement familiales, avec de surcroît un effectif assez restreint, aucun lieu de culte n'a été établi dans la ville. Les cérémonies religieuses ont donc lieu en plein air, comme en témoignent ce culte anglican et cette messe italienne.

Deux autres films de Bontemps (1) et (2) montrent des excursions vers la muraille environnante (Jiaoshan changcheng 角山长城). On reconnaît les lieux à la cloche du temple Qixia 棲霞寺 qui existe encore aujourd'hui, ainsi qu'aux paysages de la Pagode de la rivière (1), (2), (3), (4), (5) et (6). On trouve également intercalés dans le film quelques plans de la gare de Shanhaiguan, ainsi que des images de fanfares et de défilés militaires. Les dernières scènes de ce film montrant la marine et l'artillerie rappellent aussi la dimension militaire du lieu que tend à masquer quelque peu l'atmosphère détendu de ces vacances à la mer.

Les expéditions dans la montagne et la Pagode dite du "Bossus" font par ailleurs l'objet de nombreuses photographies, témoignages précieux de l'attrait particulier de Bontemps pour ces moments de découverte (1), (2), (3), (4), (5), (6), (7), (8), (9), (10), (11)
Les mots de L'Ancre de Chine dépeignent encore une fois à merveille ces souvenirs visuels de Bontemps : "Au delà de la ville, c’est la montagne que la Grande Muraille escalade audacieusement. On est tenté d’en faire autant et un matin on part à l’assaut des pics. Lentement on grimpe par les sentiers tortueux, escarpés, rocailleux, et le silence n’est troublé que par les cailloux qui roulent sous nos pieds. (...) A chaque pas la montagne change d’aspect. Ce sont des mamelons, des gouffres, des pics où des chèvres broutent une herbe trop sèche. (...)
Quel émerveillement lorsqu'arrivé au sommet d’un pic, on découvre un paysage plein de grandeur et de majesté ! Il semble que la main de l’Art soit venue là enchevêtrer les rochers et faire serpenter dans un cirque le ruban argenté d’une rivière. On respire un air que nul autre n’a respiré. (...)
Dans la montagne, le voyageur se plaît à fouler les ruines de la Grande Muraille de Che Houang Ti 
[Qin Shi Huang 秦始皇 : l'empereur unificateur de la Chine]. Il fouille une pagode déserte et délabrée, où, parmi les statues de terre peinte, les autels, les brûle-parfums, il croit respirer l’encens en évoquant le souvenir antique d’une religion déchue. Tout dort, mais tout est vivant à qui sait faire revivre le Passé.
Et l’on vient retrouver les portes massives et les vieilles pierres grises qui s’effacent près des rues commerçantes de la ville, avant de regagner le coin verdoyant où flotte notre Drapeau. C’est ainsi que, chaque année, durant les mois d’été, les militaires de la Chine du Nord vivent les plus belles heures de leur séjour.
"[5].
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