Les incidents de novembre 1931
A la différence des événements de Mandchourie, les incidents de Tianjin (Tianjin shibian 天津事變) restent relativement peu connus. Souvent considérés comme un épisode secondaire de l'expansion japonaise en Chine du Nord, ils fournissent pourtant l’une des pièces déterminantes dans la consolidation de la domination japonaise sur la Mandchourie. S’inscrivant dans la logique suivie à Mukden, ils répondent à un double objectif. Le premier vise à mener des activités coordonnées avec l'armée du Guandong pour initier des troubles dans différentes villes du nord susceptibles de déstabiliser la région et de justifier un renforcement des effectifs militaires japonais. Pour asseoir définitivement leur domination sur la Mandchourie, les Japonais estiment en effet qu'il ne faut pas seulement éradiquer le pouvoir militaire des anciens seigneurs de la guerre de la région, mais aussi et surtout celui de Zhang Xueliang 張學良 (1901-2001)[1] qui est alors le chef militaire le plus influent du Hebei. La stratégie élaborée repose sur une intervention indirecte permettant de ne pas engager la responsabilité japonaise. Pour cela, un jeu d’équilibre exploitant des divisions et oppositions au sein de la société ou de la frange militaire chinoise est savamment employé pour orchestrer des affrontements ponctuels dans plusieurs grandes villes du nord (Beiping 北平[2], Zhangjiakou 張家口, Tangshan 唐山, Shanhaiguan 山海關, Tianjin). Dans chaque localité, les Japonais tentent de recruter parmi les militaires déchus, les marginaux et même dans les cercles criminels.
Le deuxième but plus spécifique à Tianjin consiste à créer une situation suffisamment chaotique pour convaincre Pu Yi 溥儀 (1906-1967) de quitter la ville et camoufler par la survenue de ces troubles son départ en Mandchourie[3]. L’empereur déchu réside depuis 1925 dans la Concession japonaise de Tianjin où il avait trouvé refuge après avoir été chassé de la Cité interdite par Feng Yuxiang 馮玉祥 (1882-1948). Or, pour conférer une légitimité à l'Etat indépendant que le Japon s’apprête à proclamer en Mandchourie et affaiblir le pouvoir concurrent de Zhang Xueliang, certains dirigeants de l’armée du Guandong conçoivent le projet de placer Pu Yi sur le trône de ce nouvel Etat fantoche. C’est dans cette optique que le général Kenji Doihara 土肥原 賢二 (1883-1948), alors à la tête du service d’espionnage de l’armée du Guandong, se rend à Tianjin début novembre.
Le général Doihara supervise l'organisation des incidents de Tianjin en s'appuyant sur des soutiens chinois locaux (anciens militaires et membres de société secrète). Ces derniers s'occupent du recrutement de policiers et d'hommes de main pour constituer des milices civiles (bianyidui 便衣隊)[4] dont les armes sont fournies par l'armée du Guandong. Tous les éléments sont ainsi minutieusement mis en place pour théâtraliser des affrontements dans lesquels les Japonais se placent sciemment en position de victimes.
La trame des incidents conçue par le général Doihara et ses complices repose sur le déclenchement d'un mouvement insurrectionnel dans la ville chinoise, ostensiblement dirigé contre le gouverneur Wang Shuchang 王樹常 (1885-1960), général proche de Zhang Xueliang, qui laisse croire à une attaque menée par les membres d'une association patriotique. Favorable à un nouveau système d'autonomie dans le Hebei, celle-ci aurait pour objectif d'affaiblir le pouvoir de Zhang Xueliang, désigné comme le responsable des événements de Mukden. Les affrontements ne passeraient ainsi que pour un conflit interne entre partisans et adversaires de Zhang[5]. Pour mener à bien ce subterfuge, une milice de plus de 2000 hommes est constituée. La plupart sont des bandits, des soldats de fortune, des réfugiés ou des marginaux recrutés comme mercenaires. On trouve également des Coréens chargés de guider et de surveiller les groupes. La supervision des attaques prévues pour le 8 novembre est confiée à des militaires japonais. Or, la venue du général Doihara à Tianjin, relayée par la presse, attire l'attention de la police chinoise qui est informée de ses intentions et de ses rencontres. Le soir du 8 novembre, elle renforce ses effectifs et instaure la loi martiale pour prévenir tout incident.
Entre 21 heures 30 et 22 heures, les milices lancent des attaques ciblées contre le poste central de police, des postes téléphoniques, l'usine électrique et les locaux du gouvernement provincial situés dans la ville chinoise. Elles donnent lieu à un échange de tirs avec les policiers chinois placés en renfort, puis à l’arrestation de dizaines de miliciens. Au cours des affrontements, certains coups de feu atteignent la Concession japonaise. Les Japonais occupent alors la frontière de la concession et en interdisent l'accès aux Chinois. Peu après, un soldat japonais est tué d’une balle dans la tête. L'Etat-major japonais riposte immédiatement en demandant au général Wang Shuchang de retirer ses policiers à 300 mètres en arrière de la Concession japonaise. La Municipalité de Tianjin juge cette exigence irrecevable et refuse. Quelques heures plus tard, lorsqu'un deuxième militaire japonais est tué, l’armée japonaise intervient. Des dizaines d'obus sont tirés de la Concession japonaise en direction de la ville chinoise[6]. Le 9 novembre vers 7 heures 30, les tirs cessent du côté japonais, tandis que Wang Shuchang procède au retrait de ses policiers à 300 mètres de la frontière entre la Concession japonaise et la ville chinoise[7].
Prévenus et tenus informés du déroulement des événements par leur collègue japonais, les commandants des Corps d’Occupation britannique, américain, français et italien se réunissent dans la matinée. Ils se montrent soucieux de préserver une stricte neutralité[8]. Puis ils se rendent au quartier général japonais où le lieutenant général Kōhei Kashii 香椎 浩平 (1881-1954) leur expose sa version des faits et justifie l'intervention de l'armée japonaise[9]. Il estime que la gravité de la situation exige la mise en œuvre d'un plan d'action combinée, ce que refusent les autres commandants. Considérant ces événements comme un contrecoup de ceux de Mandchourie, ils ne se sentent pas concernés et n'envisagent de prendre des mesures que dans le cas où leurs ressortissants seraient menacés. Ils optent ainsi pour une défense individuelle.
Bontemps se trouve aux premières loges des événements qui éclatent à Tianjin. Il livre quatre photographies toutes prises le lendemain des incidents du 8 novembre. Révélatrices du climat de tension au sein de la ville, elles offrent des perspectives complémentaires sur les conséquences directes des affrontements de la veille. La première montre des chars initialement acheminés dans la Concession française pour la revue militaire du 11 novembre et finalement maintenus de manière préventive à partir du 9 novembre. La seconde témoigne de l'afflux de milliers de résidents chinois vers l'ancienne Concession autrichienne. Ils quittent la ville chinoise par le pont dit "autrichien" d'après l'annotation de Bontemps. Il s'agit en fait du pont Jintang qiao 金湯橋 qui relie la vieille ville chinoise à l'ancienne Concession autrichienne. De plus amples détails sur ce pont ont été fournis dans la sous-partie "Commerces de rue et vie urbaine". De leur côté, les Japonais organisent la défense méthodique de leur concession en installant un véritable cordon défensif fait de barricades et de fortifications composées de barbelés et de sacs de sable. Les Chinois font l'objet de contrôles et de fouilles à l'entrée et à la sortie de la concession.
Le deuxième but plus spécifique à Tianjin consiste à créer une situation suffisamment chaotique pour convaincre Pu Yi 溥儀 (1906-1967) de quitter la ville et camoufler par la survenue de ces troubles son départ en Mandchourie[3]. L’empereur déchu réside depuis 1925 dans la Concession japonaise de Tianjin où il avait trouvé refuge après avoir été chassé de la Cité interdite par Feng Yuxiang 馮玉祥 (1882-1948). Or, pour conférer une légitimité à l'Etat indépendant que le Japon s’apprête à proclamer en Mandchourie et affaiblir le pouvoir concurrent de Zhang Xueliang, certains dirigeants de l’armée du Guandong conçoivent le projet de placer Pu Yi sur le trône de ce nouvel Etat fantoche. C’est dans cette optique que le général Kenji Doihara 土肥原 賢二 (1883-1948), alors à la tête du service d’espionnage de l’armée du Guandong, se rend à Tianjin début novembre.
Le général Doihara supervise l'organisation des incidents de Tianjin en s'appuyant sur des soutiens chinois locaux (anciens militaires et membres de société secrète). Ces derniers s'occupent du recrutement de policiers et d'hommes de main pour constituer des milices civiles (bianyidui 便衣隊)[4] dont les armes sont fournies par l'armée du Guandong. Tous les éléments sont ainsi minutieusement mis en place pour théâtraliser des affrontements dans lesquels les Japonais se placent sciemment en position de victimes.
La trame des incidents conçue par le général Doihara et ses complices repose sur le déclenchement d'un mouvement insurrectionnel dans la ville chinoise, ostensiblement dirigé contre le gouverneur Wang Shuchang 王樹常 (1885-1960), général proche de Zhang Xueliang, qui laisse croire à une attaque menée par les membres d'une association patriotique. Favorable à un nouveau système d'autonomie dans le Hebei, celle-ci aurait pour objectif d'affaiblir le pouvoir de Zhang Xueliang, désigné comme le responsable des événements de Mukden. Les affrontements ne passeraient ainsi que pour un conflit interne entre partisans et adversaires de Zhang[5]. Pour mener à bien ce subterfuge, une milice de plus de 2000 hommes est constituée. La plupart sont des bandits, des soldats de fortune, des réfugiés ou des marginaux recrutés comme mercenaires. On trouve également des Coréens chargés de guider et de surveiller les groupes. La supervision des attaques prévues pour le 8 novembre est confiée à des militaires japonais. Or, la venue du général Doihara à Tianjin, relayée par la presse, attire l'attention de la police chinoise qui est informée de ses intentions et de ses rencontres. Le soir du 8 novembre, elle renforce ses effectifs et instaure la loi martiale pour prévenir tout incident.
Entre 21 heures 30 et 22 heures, les milices lancent des attaques ciblées contre le poste central de police, des postes téléphoniques, l'usine électrique et les locaux du gouvernement provincial situés dans la ville chinoise. Elles donnent lieu à un échange de tirs avec les policiers chinois placés en renfort, puis à l’arrestation de dizaines de miliciens. Au cours des affrontements, certains coups de feu atteignent la Concession japonaise. Les Japonais occupent alors la frontière de la concession et en interdisent l'accès aux Chinois. Peu après, un soldat japonais est tué d’une balle dans la tête. L'Etat-major japonais riposte immédiatement en demandant au général Wang Shuchang de retirer ses policiers à 300 mètres en arrière de la Concession japonaise. La Municipalité de Tianjin juge cette exigence irrecevable et refuse. Quelques heures plus tard, lorsqu'un deuxième militaire japonais est tué, l’armée japonaise intervient. Des dizaines d'obus sont tirés de la Concession japonaise en direction de la ville chinoise[6]. Le 9 novembre vers 7 heures 30, les tirs cessent du côté japonais, tandis que Wang Shuchang procède au retrait de ses policiers à 300 mètres de la frontière entre la Concession japonaise et la ville chinoise[7].
Prévenus et tenus informés du déroulement des événements par leur collègue japonais, les commandants des Corps d’Occupation britannique, américain, français et italien se réunissent dans la matinée. Ils se montrent soucieux de préserver une stricte neutralité[8]. Puis ils se rendent au quartier général japonais où le lieutenant général Kōhei Kashii 香椎 浩平 (1881-1954) leur expose sa version des faits et justifie l'intervention de l'armée japonaise[9]. Il estime que la gravité de la situation exige la mise en œuvre d'un plan d'action combinée, ce que refusent les autres commandants. Considérant ces événements comme un contrecoup de ceux de Mandchourie, ils ne se sentent pas concernés et n'envisagent de prendre des mesures que dans le cas où leurs ressortissants seraient menacés. Ils optent ainsi pour une défense individuelle.
Bontemps se trouve aux premières loges des événements qui éclatent à Tianjin. Il livre quatre photographies toutes prises le lendemain des incidents du 8 novembre. Révélatrices du climat de tension au sein de la ville, elles offrent des perspectives complémentaires sur les conséquences directes des affrontements de la veille. La première montre des chars initialement acheminés dans la Concession française pour la revue militaire du 11 novembre et finalement maintenus de manière préventive à partir du 9 novembre. La seconde témoigne de l'afflux de milliers de résidents chinois vers l'ancienne Concession autrichienne. Ils quittent la ville chinoise par le pont dit "autrichien" d'après l'annotation de Bontemps. Il s'agit en fait du pont Jintang qiao 金湯橋 qui relie la vieille ville chinoise à l'ancienne Concession autrichienne. De plus amples détails sur ce pont ont été fournis dans la sous-partie "Commerces de rue et vie urbaine". De leur côté, les Japonais organisent la défense méthodique de leur concession en installant un véritable cordon défensif fait de barricades et de fortifications composées de barbelés et de sacs de sable. Les Chinois font l'objet de contrôles et de fouilles à l'entrée et à la sortie de la concession.
L'affaire se termine le 15 novembre après plusieurs rebondissements qui contraignent le général Wang à retirer toutes les infrastructures défensives établies dans la zone des 300 mètres[10]. Il s'engage également à éloigner ses troupes à environ dix kilomètres de Tianjin. Dans ces conditions, le calme revient progressivement. Le principal objectif du général Doihara est atteint puisque les troubles lui ont permis d'exfiltrer secrètement Pu Yi de Tianjin, tout en écartant la police et les troupes chinoises du centre de la ville.
Le 26 novembre, de nouvelles attaques sont lancées dans la ville chinoise par les milices habillées en civil. Ce deuxième volet permet aux Japonais de justifier l'envoi de renforts pour leur armée. Dès le 27 novembre, une centaine de fusiliers marins, prélevés sur les équipages de torpilleurs stationnant à Tanggu 塘沽, viennent renforcer la garnison japonaise de Tianjin . Les jours suivants sont marqués par d'autres affrontements, puis un retour au calme après le repli de la police chinoise au nord du Haihe 海河.
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