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Tianjin au temps des concessions étrangères sous l’objectif d’André Bontemps (1931-1935)

Un récit visuel entre micro et macro-histoire

Fleur Chabaille, Author

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Les fêtes et les parades militaires : des moments de communion patriotique

Dans les ports ouverts, les activités ostentatoires sont primordiales. L’image militaire doit être particulièrement soignée puisqu’elle entend se poser comme l’exemple de conduite d’une communauté à laquelle elle confère les conditions de sécurité et la légitimité de son installation en Chine. La mise en exergue de la fonction militaire repose sur l’organisation de fêtes et de parades propices aux rassemblements patriotiques. Il peut s’agir de fêtes de charité au profit d’œuvres caritatives, d’écoles ou d’hôpitaux dont quelques exemples sont rapportés dans L’Ancre de Chine. Les remises de décoration et les défilés constituent également des événements officiels qui attirent de nombreux spectateurs. Parmi eux, on peut citer la fête de Jeanne d’Arc pour laquelle est organisée chaque année une revue militaire mettant à l’honneur les "Marsouins" et les "Bigors" de Tianjin[1].

Les fêtes nationales représentent des moments de réunion, voire de communion patriotique, dont les symboles revêtent une dimension toute particulière à des milliers de kilomètres de la France. Ainsi, la fête nationale est marquée par une prise d’armes devant le monument aux morts de la Campagne de Chine de 1900-1901 érigé en hommage aux soldats tués lors de la révolte des Boxeurs au pied duquel sont déposées des couronnes. S’ensuit un défilé des troupes françaises à l’Arsenal de l’Est et dans la Concession française de Tianjin, rue du Chaylard (actuelle Heping lu 和平路)

Les commémorations du 11 novembre sont elles aussi l’occasion de défilés, de remises de décoration (Légion d'Honneur, médaille militaire) et de dépôts de couronnes au pied du monument aux morts de la Campagne de Chine de 1900-1901, au cimetière européen et dans chacun des cimetières indochinois en mémoire des militaires français inhumés à l’Arsenal de l’Est, ainsi qu'au pied du monument de la Victoire du Jardin français (actuel Zhongxin gongyuan 中心公园). Ces hommages ne sont pas propres à la France et sont réalisés simultanément par les Britanniques. Le 11 novembre 1932, Bontemps assiste à ces commémorations franco-britanniques dans les concessions française et britannique. Le défilé militaire qui passe devant la Municipalité française, rue du Consulat (actuelle Chengde dao 承德道) est suivi d'une réunion dans le Jardin français. Puis, dans la Concession britannique, les troupes britanniques défilent dans le jardin devant l'Astor Hotel et le Gordon Hall. Des gerbes de fleurs sont enfin déposées au pied d'un gigantesque monument aux morts.

Peu avant le 11 novembre, c'est l’armistice de l'Italie avec l’Autriche-Hongrie qui est célébré tous les 4 novembre dans la Concession italienne devant le monument de la Piazza Regina Elena, actuelle Place Marco Polo (Make Boluo guangchang 马可波罗广场).

Parmi les autres fêtes nationales, la Parade de la Saint-Georges est sans doute l'une des plus emblématiques. Elle est organisée chaque année le 23 avril, jour de la fête de Saint Georges, dans la Concession britannique. Le 1er bataillon du Queen's Royal Regiment défile en présence du ministre de Grande-Bretagne en Chine et de nombreuses personnalités. Dans les années 1930 à Tianjin, cette journée est choisie pour la cérémonie du “Trooping the Colour". Selon L'Ancre de Chine, son origine remonte aux parades de relève de garde du XVIIe siècle. Elle est composée d'une parade des troupes accompagnée de musique et de tambours, ainsi que d'une présentation solennelle des drapeaux du régiment auquel chaque soldat doit fidélité. Lors de l'anniversaire du roi, ce sont les couleurs du souverain qui sont présentées à la troupe, tandis qu'à l'occasion de la Saint-Georges, ce sont celles du régiment[2].

Certaines fêtes, plus intimes, réunissent et célèbrent les membres d'une même compagnie, comme la fête de la Compagnie militaire n°3 (CM3) du 16e RIC filmée par Bontemps en 1933. On peut y voir des épreuves sportives auxquelles participent des membres des troupes françaises annamites : le basket, la course dans des sacs, la "brouette", la lutte annamite (1) et (2), ainsi qu'un jeu dit de "l'aveugle" où un homme porte un masque et tente de casser à l'aide d'un bâton des récipients placés sur une branche au-dessus de lui. Bien que les participants à ces jeux soient uniquement des Indochinois, le public est varié. 

L'un des films de Bontemps dévoile à cette occasion une épreuve sportive singulière entre des membres des troupes françaises annamites. Leur accoutrement fait penser à celui de gladiateurs. Il est composé d'une tunique blanche, d'un chapeau bicorne et d'un bouclier sur lequel est inscrit le caractère li 力 (la force). Plusieurs duels simultanés consistent à tremper un grand pinceau dans de la peinture et tenter de toucher son adversaire. Le gagnant est sans doute celui qui a le moins de peinture sur lui. Cette scène atypique est suivie de plans sur des troupes françaises au garde à vous dans la Concession française, sûrement dans la Procure des Jésuites.

D'après L'Ancre de Chine, cette fête est organisée au profit des foyers annamites de Tianjin. Les militaires indochinois participent ainsi à des épreuves sportives et des jeux, tandis qu'une loterie permet de récolter des fonds[3]. Le soir tombé, de nombreuses lampes électriques éclairent la façade de la Procure et l'intérieur des chambrées militaires avec d'un côté, la chambrée catholique et de l'autre, la chambrée bouddhiste (1), (2).

Ce sont enfin des moments d’intimité que partagent les militaires à travers la célébration de fêtes familiales. Chaque année pour Noël, le Corps d’Occupation organise une fête militaire au cours de laquelle des jouets sont distribués aux enfants[4].

Tous ces événements, en plus de leur rôle fédérateur et de leur vertu rassembleuse, véhiculent aussi une image auprès de l’Autre, si présent et si multiple à Tianjin. Les Français se trouvent finalement en petit nombre à côté des autres nationalités présentes dans la ville et surtout face à la majorité écrasante de résidents chinois peuplant les concessions. D'où une importance cruciale de la représentation, voire de la démonstration, dans le déploiement de la présence militaire française à Tianjin et dans le rapport qu’elle entretient avec ses nombreux voisins.
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