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Tianjin au temps des concessions étrangères sous l’objectif d’André Bontemps (1931-1935)

Un récit visuel entre micro et macro-histoire

Fleur Chabaille, Author

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Le sport et son rôle fédérateur

La place importante que tiennent les comptes rendus sportifs dans la revue L'Ancre de Chine se trouve illustrée dans une proportion équivalente par les clichés et les films d’André Bontemps. L’ensemble montre le rôle crucial joué par le sport en général dans la construction et la consolidation d’une sociabilité entre les militaires français et les militaires d’autres nationalités. Si les différents pays présents à Tianjin cohabitent avec une rivalité sous-jacente, le sport représente le moyen par lequel celle-ci peut s’exprimer dans une atmosphère conviviale, tout en cristallisant une forme de catharsis collective. Des règlements uniformes censés maintenir une concurrence loyale entre les athlètes ne sont pas sans rappeler implicitement ceux qui régissent les conditions du voisinage entre les différentes nations. En permettant une franche expression du soutien pour les sportifs devenus les étendards de leur nation, les passions peuvent être libérées ponctuellement, tout en restant maintenues dans le cadre d’une rigueur disciplinaire et déontologique.

Le cosmopolitisme exacerbé propre aux différents événements sportifs de Tianjin est parfaitement résumé par Louis Sabattier :"J'ai tenu à rester à Tien Tsin pour assister à la belle fête que les troupes françaises ont donnée aux résidants européens et dont le programme comportait, outre la lutte à la corde, des courses, assauts, concours et matches variés entre les équipes des divers corps d'occupation. Malgré le véritable intérêt sportif qu'elle présentait, j'ai été séduit, surtout, par l'aspect vraiment curieux et suggestif de la foule des invités.
Figurez-vous le pesage de Longchamp ou de Chantilly, de très jolies femmes, d'élégantes toilettes, des sportsmen venus à cheval ou en auto (il y a beaucoup d'autos à Tien Tsin
[Tianjin]). Et, par-dessus tout, l'invraisemblable réunion d'uniformes de tous grades des principales nations du monde (...). Il y avait même des Chinois ! On peut voir, de temps en temps, dans des fêtes officielles ou des cérémonies, des militaires étrangers en grande tenue, mais ici tout le monde était en blanc ou en kaki, presque en tenue de campagne.
Il a fallu les événements de 1900 et les troubles de février dernier pour amener une telle fusion... apparente. Je m'attendais presque à entendre la musique jouer l'Internationale.
"[1].

Tianjin pour la Chine du Nord, au même titre que Shanghai pour la Chine du Sud, constitue l’une des "Capitales sportives d’Extrême-Orient"[2]. Comme le note un observateur de la revue, le climat de la région nord se prête à tous types de sports, qu’ils soient collectifs ou individuels. Bien que les principaux sports pratiqués soient le football, le rugby[3] et l’athlétisme, diverses autres disciplines, telles que le saut à la perche, le lancer de disque, la lutte de traction à la corde etc., sont représentées.

A Tianjin, le temps sportif est marqué par trois événements majeurs organisés chaque année généralement au mois de mai. Il s’agit de la fête française et de la fête internationale qui se tiennent toutes deux à l’Arsenal de l’Est, ainsi que de la fête du Min Yuan ou championnat de la Chine du Nord ayant pour théâtre le stade Min Yuan (Minyuan tiyuchang 民園體育場)[4]. Ces manifestations sportives offrent de rares moments où civils et militaires se trouvent conviés au même titre.

En revanche, la fête internationale ne donne pas lieu à une participation simultanée de résidents européens et chinois dont les épreuves sont séparées. Seules certaines compétitions sportives et certaines disciplines (football, rugby) permettent des rencontres entre équipes occidentales et chinoises.

En général, ces événements sportifs sont limités à la frange militaire, mais quelques passerelles peuvent parfois être établies avec d'autres corps de métier. C'est notamment le cas lors de la fête sportive française où s'opposent les équipes de l'armée à celles de la police. Un article de L'Ancre de Chine de 1935 s'interroge sur le maintien de cette pratique. Du fait du fréquent renouvellement des effectifs de l'armée et donc des athlètes, il existe en effet un écart de niveau grandissant entre les deux corps, ce qui fausse l'équilibre et la valeur des compétitions[5]

A noter enfin que l'esprit des rencontres sportives de Tianjin est "exporté" dans les autres lieux de résidence des militaires, et notamment à Shanhaiguan 山海關, où Bontemps photographie une fête sportive italienne : (1), (2), (3), (4), (5), (6), (7), (8), (9), (10), (11).

Au-delà de ces réunions internationales exceptionnelles, le sport se pratique aussi et surtout dans l’intimité familiale et amicale. Les rencontres et échanges se jouent essentiellement entre familles de militaires, comme le démontrent ces photographies de badminton prises par Bontemps.

En-dehors des compétitions internationales, nationales ou individuelles, l'une des activités majeures que l'on pourrait qualifier de transversale dans la vie sportive de Tianjin est la course hippique (1), (2), (3). Celle-ci a connu un important développement à Tianjin à la faveur de l’activité de ses trois hippodromes : le Race Course, champ de course européen le plus ancien, qui possède une patinoire en hiver (1), (2), (3), (4) et (5), un champ de course chinois situé à l’ouest de la ville, ainsi qu'un champ de course international situé au nord de l'Arsenal de l'Est sur lequel on ne dispose pas d'informations précises[6].
 
La transversalité évoquée tient à son succès général auprès des résidents de Tianjin, quelle que soit leur nationalité, et ce pour deux raisons. La première réside dans l’engouement que partagent les Chinois et les Occidentaux pour les jeux de hasard et de paris. La seconde est liée à la fonction sociale de cette activité qui s’intègre dans une vie mondaine particulièrement riche et dans laquelle le paraître s’avère primordial.

Un film de Bontemps montre le départ de la famille, accompagnée d'amis, pour le champ de courses. On aperçoit au passage que la conduite des véhicules se fait à droite comme en Angleterre. Les images suivantes retranscrivent ensuite parfaitement l'entremêlement des familles européennes, chinoises et japonaises. On aperçoit même des soldats sikhs. 

Les Chinois qui se rendent au champ de course font partie de la couche la plus aisée de la population et habitent pour la plupart dans les concessions. La plupart des propriétaires de chevaux sont occidentaux, mais ce sont surtout des employés chinois qui s'occupent des chevaux, le plus souvent dans des terrains loués en-dehors des concessions. L'Ancre de Chine livre de nombreux détails sur cette activité semi-mondaine et semi-sportive[7]. On y apprend notamment que les jockeys qui participent aux épreuves sont tous des amateurs. Une écrasante majorité d'entre eux sont occidentaux. Quant aux chevaux de course, ils ne sont ni arabes ni anglo-arabes, mais des mongols ou métis de mongols et de cheval étranger, mieux adaptés au climat. Une partie d'entre eux est achetée dans le commerce, mais beaucoup le sont via une souscription auprès des trois clubs de la ville. Des représentants de ces clubs se rendent ensuite en Mandchourie, achètent les chevaux, les ramènent à Tianjin où ils sont répartis entre les propriétaires par tirage au sort[8]. Parmi les propriétaires, on peut citer entre autres le consul de France Charles Lépissier[9].

Une autre activité majeure pratiquée en compétition, mais aussi et surtout en famille est le patinage. Plusieurs scènes sont filmées par Bontemps (1)(2) et (3). D'après ses photos et indications, le premier film peut être localisé à la patinoire de l'amirauté dans le fond de l'ancienne Municipalité française devenue l'École française et le deuxième au Race Course (européen). En revanche, le troisième est plus difficilement identifiable. Après quelques plans balayant les rues de la Concession française enneigée, et notamment le Jardin français (actuel Zhongxin huayuan 中心花园), Bontemps filme une autre séance de patinage peut-être sur le canal Qiangzihe 墻子河 (actuelle Nanjing lu 南京路) ou sur le fleuve Haihe 海河. On sait que la ville compte à l'époque de nombreux autres lieux de patinage à l'Arsenal de l'Est, ou encore dans l'ancien parc russe[10].
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