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Tianjin au temps des concessions étrangères sous l’objectif d’André Bontemps (1931-1935)

Un récit visuel entre micro et macro-histoire

Fleur Chabaille, Author

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La représentation identitaire comme réponse à l’altérité

A Tianjin où le mouvement et le croisement sont des maîtres mots, la cohabitation est multiple du fait des nombreuses nationalités que la ville abrite. Elle n'est par ailleurs qu'éphémère pour les expatriés qui se placent dans une temporalité restreinte du voyage et du séjour. Cette impression est d’autant plus accentuée pour les militaires dont les affectations ne dépassent en général pas les quatre ans. Pour eux, il s’agit d’un déracinement momentané et qui n’est pas forcément ressenti comme tel étant donné la reconstitution de chaque pays d’origine qu’offre le panorama des concessions.

Pourtant cette reconstruction quelque peu artificielle se fait avant tout en réponse à la présence de l’Autre et à l’image que l’on souhaite lui renvoyer : "En ville, sans ostentation, en vieux soldats, marsouins et tirailleurs mettent un point d’honneur à paraître. Fiers, en tenue de sortie de l’uniforme bleu avec lequel leurs aînés partirent au front en 1914, ils rappellent aux Français de Beijing ces régiments de nos grands ports. (...) Nos annamites aussi, toujours coquets, propres, dociles donnent à la population étrangère de Pékin, une image de la France d’outremer et de son œuvre coloniale en Extrême-Orient."[1]. Les militaires français sont par ailleurs particulièrement fiers de présenter l’îlot de francophonie que constitue l’Arsenal de l’Est : "c’est le seul endroit, la seule agglomération de la Chine du Nord où l’on ne soit pas obligé de s’exprimer en Anglais pour se faire comprendre"[2].

En Chine, le concept d’identité devient encore plus flou et complexe, un Français pouvant tantôt être qualifié comme tel face à un Européen ou un Américain, tantôt désigné comme Occidental face à un Chinois. Cet extrait des impressions de Louis Sabattier de retour d'un voyage en Chine en 1912 retranscrit parfaitement cette difficulté à définir son appartenance. Il y emploie successivement les mots de "blanc", d'"Européen", de "Français" pour finalement terminer par le terme plus générique et commode de "communauté" : "Un défaut commun à beaucoup de coloniaux et que je retrouve ici, chez quelques jeunes débarqués--heureusement fort rares--a le don de m'exaspérer: c'est celui qui consiste à traiter en êtres inférieurs les habitants du pays où l'Européen est arrivé en intrus ou en conquérant, avec des canons et des fusils, et à ne vouloir connaître que les coups comme forme de discussion. Si ce raisonnement était juste, il faudrait admettre la réciproque et ne pas crier quand l'être inférieur se rebiffe, ou, alors, s'il est dans l'impossibilité de répondre, c'est de la lâcheté.
Rien ne m'est plus pénible que de voir un blanc, un Européen, un Français, frapper, même légèrement, un pousse-pousse pour le faire aller plus vite.
Je répète que le cas est très rare et que ce sont les tout jeunes gens irréfléchis qui se livrent à ces actes de brutalité qui ont, en outre, l'inconvénient d'être impolitiques au plus haut point. De petites causes peuvent produire un effet désastreux et la violence d'un isolé peut avoir des conséquences incalculables pour la communauté."[3].

Omniprésente dans les ports ouverts, la dimension militaire est justement là pour venir rappeler les distinctions nationales et garantir la place de chacun. Les défilés et événements commémoratifs capturés par Bontemps attestent de la fréquence et de la diversité des démonstrations militaires. Celles-ci constituent en effet un élément clé dans la construction, l'affirmation et la préservation identitaire des communautés étrangères présentes dans les ports ouverts[4]. Elles sont autant de manières de répondre aux frictions et tensions inéluctables qu’entraîne leur présence en faisant montre de leur force et de leur modernité dans un pays marqué par un fort sentiment d'humiliation.

Cet univers cosmopolite apparaît de surcroît en bien faible proportion numérique à côté des résidents chinois qui l’entourent. De manière générale, les observations des militaires français sur les Chinois révèlent un regard à la fois curieux, distancié, stéréotypé et paternaliste, non dénué d’une certaine rhétorique colonialiste tendant à infantiliser la population chinoise dans son ensemble[5].
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