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Frederick to Voltaire - 1766 August 7 - Transcription


À Potsdam, ce 7 août 1766[1].

Lettre du Roy   
de Prusse à
Mr. de Voltaire.[2]
  E/

1.         Mon Neveu m'a écrit qu'il se proposoit de visiter
2.         en passant le Philosophe de Ferney ; je lui envie le
3.         plaisir qu'il a eu de vous entendre ; mon nom étoit de
4.         trop dans vos conversations, et vous aviez tant de matières
5.         à traiter, que leur abondance ne vous imposoit pas la
6.         nécessité d'avoir recours au philosophe de Sans-Souci,
7.         pour fournir à vos entretiens.
8.                     Vous me parlez d'une Colonie de Philosophes qui
9.         se proposent de s'établir à Clèves, je ne m'y oppose
10.       point, je puis leur accorder ce qu'ils demandent, aux bois
11.       près que le séjour de leurs compatriotes a presque
12.       entièrement détruits dans ces forêts, toutefois à condition
13.       qu'ils ménagent ceux qui doivent être ménagés, et qu'en
14.       imprimant ils observent de la décence dans leurs écrits.
15.                   La scène qui s'est passée à Amiens est tragique,
16.       mais n'y a-t-il pas de la faute de ceux qui ont été
17.       punis ? faut-il heurter de front des préjugés que le
18.       tems a consacré dans l'esprit des Peuples ? et si
19.       l'on veut jouir de la liberté de penser, faut-il
20.       insulter à la croyance établie ? Quiconque ne veut
21.       point remuer est rarement persécuté, souvenez-vous
                                                                                    de

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22.       de ce mot de Fontenelle. Si j'avois la main pleine
23.       de vérités, disoit-il, je penserois plus d'une fois
24.       avant de l'ouvrir. Le Vulgaire ne mérite pas
25.       d'être éclairé, et si vos Parlemens ont sévi contre
26.       ce malheureux jeune homme, qui a frappé ce signe
27.       que les chrétiens révèrent comme le symbole de leur
28.       salut, accusez-en les loix du Royaume, c'est selon
29.       ces loix que tout magistrat fait serment de Juges. Il
30.       ne peut prononcer la sentence que selon ce qu'elles
31.       contiennent, et il n'y a de ressource pour l'accusé qu'en
32.       prouvant qu'il n'est pas dans le cas de la Loy.
33.                   Si vous me demandez si j'aurais prononcé un arrêt
34.       aussi dur, je vous dirai que non, et que selon mes lumières
35.       naturelles, j'aurois proportionné la punition au délit.
36.       Vous avez brisé une statue, je vous condamne à la
37.       rétablir ; vous n'avez pas ôté le chapeau devant
38.       le Curé de la Paroisse, qui portoit ce que vous savez,
39.       Eh bien, je vous condamne à vous présenter qu’inze jours
40.       consécutifs sans chapeau à l'Eglise. Vous avez lu
41.       les[3] ouvrages de Voltaire, oh çà, Monsieur le jeune homme,
42.       il est bon de vous former le jugement, pour cet effet
43.       on vous enjoint d'étudier la somme de St. Thomas
                                                                                                et

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44.       le Guide’âne de Monsieur le Curé, L'Etourdi auroit
45.       peut-être été puni plus sèvèrement de cette manière
46.       qu'il ne l’a été par les Juges, car l'ennui est un
47.       siècle et la mort un moment. Que le ciel ou la
48.       destinée écarte cette mort de votre tête, et que vous
49.       éclairiez doucement et paisiblement ce siècle que
50.       vous illustrez ! Si vous venez à Clèves, j'aurai
51.       encore le plaisir de vous revoir et de vous assurer
52.       de l'admiration que votre génie m'a toujours
53.       inspiré ; sur ce je prie Dieu qu'il vous ait en
54.       sa sainte garde et digne garde. / .
                                                            Fr

[Shelfmark: rare fF840 V935 d][4]
 
[1] This manuscript (Hoose) is the second of two manuscripts identified in EE (Letter ID: D13479).  It is described as a “copy of original document: contemporary transcription.” (In OCV this Hoose manuscript is the only one noted in the footnotes).
                  In EE’s “Manuscript Instances”, the first manuscript is described as the “original” and located at the Prussian Secret State Archives / Preussisches Geheimes Staatsarchiv, Berlin, state of Berlin, Germany.
                  For corresponding print instances available in our USC collection, see:  Kehl: vol. 65, pp. 340-342; OCV: vol. 114, pp. 369-370.
 
[2] This is written in a different hand and ink than the body of the letter
 
[3] Here the letter “l” is written over what appears to be the start of the letter “d”.
 
[4] This notation appears at the bottom of the 4th page which is blank (except for the University Library’s seal).

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