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Tianjin au temps des concessions étrangères sous l’objectif d’André Bontemps (1931-1935)

Un récit visuel entre micro et macro-histoire

Fleur Chabaille, Author

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L’attrait de l’exotisme et de l’altérité : des tentatives de médiation interculturelle

Montre-moi ce que tu regardes et je te dirai quel voyageur tu es. Tel pourrait être le mot d'ordre à adopter pour entamer l'analyse d'un fonds visuel aussi varié que celui de Bontemps.

Si l’analyse des expériences collectives fait ressortir l’image d’une communauté militaire enclavée, l'étude de parcours individuels permet en revanche d’en nuancer les contours. Le fonds Bontemps révèle notamment une forme de curiosité qui pousse l’officier français à capturer de courts instants du quotidien de quelques anonymes chinois. C’est cet œil ethnographique, par moments décentré de la sphère militaire française, qui le distingue en partie des autres archives visuelles ou écrites de la même époque dans lesquelles les résidents chinois n’apparaissent qu’en tout second plan, voire sont quasiment inexistants. Il permet de saisir quelques scènes de rue, des petits métiers, des enterrements et autres activités qui ont dû frapper le voyageur. De plus, la curiosité de Bontemps ne se limite pas à l’observation puisque l’on sait qu’il a acheté des ouvrages d’anthropologie durant son séjour à Tianjin, sûrement afin de mieux comprendre l'environnement qui l'entoure[1].

Ses films et photographies révèlent en partie le regard et les représentations réciproques entre Bontemps lui-même et l’objet de ses clichés. Ces interactions limitées, qui s’apparentent à une forme de médiation à travers la tentative de liaison et de transmission entre différentes cultures, offrent un mélange de curiosité et d’incompréhension mutuelle. Étant donné le caractère restreint de ces échanges, ainsi que les frontières culturelles et linguistiques, la démarche de Bontemps semble s’approcher, par certains aspects, d’une tentative de médiation interculturelle. Celle-ci implique des interactions entre des personnes, des groupes et des sociétés, mais sans qu’elles ne conduisent nécessairement à des influences mutuelles.

Dans un chapitre intitulé "La Chine et les Chinois vus par des photographes occidentaux (1884-1935)", Xavier Antoinet met en évidence trois visions que reflètent les clichés pris par le Occidentaux en Chine : la première relève d’un regard égocentrique du photographe qui apparaît comme l’élément central, tandis que la Chine ne s’inscrit que comme un arrière-plan ; la seconde qu’il qualifie de "naïve et superficielle" s’intéresse uniquement à capturer certains aspects culturels considérés comme étant les plus exotiques et atypiques ; la troisième est marquée par un degré analytique supplémentaire tentant de faire ressortir d'un cliché des éléments de compréhension de la culture du pays[2]. Comme le souligne Antoinet, il serait cependant illusoire de vouloir ranger chaque photographe dans une catégorie particulière. La plupart d’entre eux se situent le plus souvent à la charnière entre deux points de vue ou combinent plusieurs d’entre eux.

André Bontemps semble réunir à lui seul un peu de ces trois visions. Un mélange des deux premières peut être notamment perçu à travers ces clichés de la famille au complet et de Thérèse Bontemps en vêtements japonais. La dernière vision n'en est pas pour autant absente des prises de vue du militaire qui s'attarde sur des détails de la vie quotidienne, comme sur des manifestations plus importantes. Le regard analytique de ces clichés est cependant moins prononcé que dans ceux d’autres photographes de la même époque. On pense en particulier à ceux pris par Hedda Morrison (1908-1991) entre 1933 et 1946. Photographe professionnelle allemande, cette dernière est naturellement portée à avoir un regard anthropologique plus aiguisé que Bontemps. De même, on peut citer les photographies prises par Sidney D. Gamble (1890-1968), un sociologue américain qui a voyagé en Chine de 1908 à 1932. Durant ses expéditions, il s’est intéressé à capturer des moments de vie quotidienne des populations rencontrées.

Malgré ces tentatives individuelles de médiation interculturelle, les règles de la cohabitation à l'intérieur des concessions restent néanmoins régies par les frontières nationales et culturelles. C’est là tout le paradoxe de ces ports ouverts. Bien qu'en apparence ces villes semblent constituer des lieux cosmopolites propices aux échanges culturels, elles s’apparentent en fait davantage à des lieux de "déconnexion"[3] que de connexion, de fermeture plus que d'échange. Ce repli communautaire, paradoxal isolement national dans des enclaves internationales, n’est pas sans entraîner des conséquences sur le ressenti de l’expatrié qui se trouve comme privé de ses attributs mêmes de voyageur.
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