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Tianjin au temps des concessions étrangères sous l’objectif d’André Bontemps (1931-1935)

Un récit visuel entre micro et macro-histoire

Fleur Chabaille, Author

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Un sous-officier à Tien-Tsin : François Marzin (1904-1988)

Je reproduis ici le passionnant récit de Jean-Michel Ropars, petit-fils de François Marzin, qui a eu la gentillesse de partager les souvenirs transmis par son grand-père. Ils complètent à merveille le récit visuel d'André Bontemps en y apportant des impressions et des détails sur le quotidien des militaires.

Le parcours de François Marzin en Chine (1932-1935) illustre bien, mais au niveau d’un modeste sous-officier, cette expérience coloniale décrite par Fleur Chabaille à propos d’André Bontemps, officier de justice militaire. Quoi que n’appartenant pas au même milieu social, ils ont vécu quelque chose de profondément similaire, justifiant le constat d’ « un aspect normatif de tous ces voyages » (F. Chabaille). C’est à la fois le sentiment de vivre une « aventure » (dont la « preuve » sera le retour en métropole avec de nombreux meubles ou bibelots « exotiques », beaucoup de photographies ou cartes postales), mais aussi, souvent, l’ennui d’une vie de caserne strictement réglée, parfaitement monotone et confinée ; avec les séductions d’un pays immense et mystérieux, mais que l’on n’explorera pas (en dehors de quelques excursions bien balisées).

François Marzin (né le 5 décembre 1904 à Bohars, Finistère), d’une famille modeste de cultivateurs, a choisi par nécessité, comme de nombreux Bretons de l’époque, l’armée : service militaire parmi les troupes d’occupation en Allemagne après la Première Guerre mondiale (1924-1926) ; puis le Maroc dans un régiment de tirailleurs sénégalais (1928-1930).

Il se marie le 22 mars 1930 avec Marie-Michelle Calvez, et l’année suivante naît leur première fille : Yvonne. La même année 1931, nommé sergent chef (fonction de comptable), il rejoint le 16e RIC (l’infanterie de marine, les fameux « Marsouins ») et s’embarque pour la Chine le 4 décembre 1931 : navigation sur le Chenonceaux par Colombo, Singapour, Saïgon et Shanghai, et arrivée à Tien-Tsin le 8 janvier 1932. Le 6 février il est détaché à la Coopérative militaire de l’Arsenal de l’Est comme chef-comptable (parmi ses chefs, le capitaine Capelle, qui a épousé une Russe blanche, et qui figure dans les contacts d’André Bontemps).

Un an plus tard, en janvier 1933, François Marzin est rejoint par sa femme et sa fille (venues sur le SS d’Artagnan). En 1935, alors que s’accumulent les nuages annonçant la Seconde Guerre mondiale en Asie, il est décidé de « liquider » la Coopérative militaire, et, pour ce faire, François Marzin est autorisé à prolonger son séjour de trois mois. Lui et sa famille quittent finalement la Chine le 19 octobre 1935 (retour par Saïgon, Djibouti, Suez et Port-Saïd), et arrivent en France le 20 novembre 1935.

La vie quotidienne à l’Arsenal de l’Est (André Bontemps, lui, loge dans la concession, à quelques kilomètres) ?

La famille habite une petite maison, avec un mobilier qui vient souvent des occupants précédents, ou de ceux qui sont régulièrement rappelés en métropole. Dans la maison (dont la porte extérieure est dotée d’un grillage pour écarter les insectes), on trouve une cuisine, une salle-à-manger, une chambre, un cabinet de toilette (avec lavabo et cabinet). Devant la maison, une petite cour close avec un grand arbre, protégée de la chaleur en été, en hauteur, par un revêtement de nattes.

Chaque jour, François Marzin se rend à vélo à son travail à la Coopérative ; il rentre à midi pour le repas et une sieste, puis repart jusqu’au soir. On se retrouve souvent entre Français au diner: parfois quelques isolés, plus fréquemment des couples. Certes, les différents milieux sociaux ne se mélangent pas : on reste entre sous-officiers (les officiers restent à l’écart, avec parfois de futures célébrités comme la famille de Denise Duval, future cantatrice renommée). Il faut dire qu’on mange bien (et l’on boit de la bière !) : le poids s’en ressent. La solde en effet est bonne, mais aussi, dans cette vie réglée et un peu ennuyeuse, le repas est un moment fort de la journée.

Pour la cuisine, il y a un « boy », Paul (il est baptisé et a été placé par la mission), habillé à l’européenne, qui prépare quelques plats de cuisine française : au départ de ses patrons, il offrira à la petite Yvonne un bijou à grelots, talisman porte-bonheur pour écarter les mauvais esprits. Il y a aussi un domestique pour repasser (habillé lui à la chinoise). Le « boy » va faire le marché (il y a un village dit « chinois » à proximité, dont les commerçants parlent toutes les langues, mais pas le breton, utilisé par conséquent par les Marzin entre eux pour ne pas être compris des « natifs »). Mais on reçoit aussi la visite de camionnettes militaires, apportant des conserves (parfois des camemberts un peu trop faits), du chocolat ou des gâteaux secs, etc.

Le climat est plutôt rude ! Il fait chaud en été (souvent plus de 40 degrés : on va régulièrement vers la glacière, approvisionnée en glace tous les jours), les cigales bruissent très fort, gênant le sommeil la nuit; il y a aussi les moustiques, les grenouilles dans cet espace de l’Arsenal de l’Est où les ruisseaux ou plans d’eau sont nombreux. En hiver, le froid est brutal, avec neige et glace (sans oublier le vent jaune).
L’information vient de métropole grâce aux journaux locaux (« La Dépêche de Brest ») que la famille expédie depuis la métropole, et que l’on se prête entre compatriotes. Le courrier est acheminé, parfois via la Sibérie : on échange avec les proches des photographies ; et comme André Bontemps, la famille Marzin réalise de très nombreux clichés.

Dans la monotonie du quotidien, il y a des moments privilégiés : les promenades dominicales d’abord (on peut se promener dans cet immense périmètre gardé qu’est l’Arsenal de l’Est, où voisinent terrains d’exercice, champs de tir, stades et terrains de sport divers). Il y a les fréquentes prises d’armes ou remises de décoration, qui, avec les commémorations patriotiques (14 juillet et 11 novembre), ont aussi pour but de renforcer le lien entre compatriotes et signifier aux Chinois la force des puissances occupantes (les Japonais, très présents, sont plutôt craints). Il y a enfin les multiples manifestations sportives (compétitions qui attirent les délégations des pays étrangers).

Des « congés » ?

En 1934, il y a le séjour à Beidaihe, « station balnéaire » pour Européens, où l’on se retrouve pour quelques semaines dans des villas de bord de mer : une mer très chaude, mais avec des méduses parfois et des vagues souvent fortes (il y a aussi les ballades à dos d’ânes). En 1935, c’est Shanhaiguan et la visite de Pékin, qui ravit les visiteurs avec ses temples, ses palais (par exemple le « Palais d’été » avec le fameux bateau de marbre qui fascine Mme Marzin, qui en parlait souvent ensuite).

Bref, comme pour André Bontemps, les Marzin ont vécu leur séjour en Chine comme un moment fort de leur existence …

La carrière militaire de François Marzin s’est poursuivie ensuite en Syrie et au Liban (1939-1941, où, membre de l’armée de Vichy, il a dû se battre contre les Anglais et les « gaullistes », obtenant, lui, le bureaucrate, sa première « croix de guerre » avec étoile d’argent) ; dans la résistance en 1944 où, militaire de carrière, il est parti encadrer les maquisards, et, devenu lieutenant, a participé aux durs combats pour la libération de l’Alsace (deuxième « croix de guerre », avec étoile de bronze); puis en Allemagne en 1945, jusqu’à l’effondrement final du régime nazi.

De retour en Bretagne, il n’a pu que constater la disparition de ses biens dans les destructions consécutives au siège de Brest (y compris le mobilier ramené de Chine). Il lui a donc fallu alors repartir à zéro.
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