Le rapide aperçu des circulations des militaires français en Chine à travers le prisme de l’expérience de la famille Bontemps ne doit cependant pas fausser le tableau général de cette présence française dans l’Empire du milieu. Si les expéditions sont largement mises à l’honneur dans le fonds filmique et photographique de Bontemps, c’est aussi en raison de leur rareté et de la singularité qu’elles distillent dans un quotidien avant tout monotone. Loin de l’exotisme que l’on imagine, la vie des militaires en Chine n’a rien d’une aventure aux multiples péripéties et rebondissements. Il s’agit plutôt d’un train de vie assez routinier, voire ennuyeux. Cet aspect qui constitue une autre facette du voyage et du séjour à l’étranger nous est notamment révélé par un article de L’Ancre de Chine contenant une forme de plaidoyer et d’exhortation au voyage. Ce dernier évoque la lassitude éprouvée dans cet univers des concessions aux multiples distractions et rencontres dont se dégage en même temps l’impression étouffante du vase clos^[1]. 

Pour tromper l'ennui, différentes activités de loisir sont organisées, mais elles restent toujours dans le cercle étroit des familles de militaires. Des voyages dans différentes villes de Chine permettent également de rendre le séjour moins monotone. Cependant, à observer le fonds Bontemps, sans doute très représentatif de la vie des autres militaires nommés à Tianjin, ces derniers ne voyagent pas tellement à l’intérieur du pays, si ce n’est dans les "stations balnéaires" alentours (Shanhaiguan 山海關, Beidaihe 北戴河), ou les grandes villes (Shanghai 上海, Beijing 北京, Qingdao 青島, Hong Kong 香港, Hankou 漢口) occupées par les étrangers. Leur circulation est par exemple très différente de celle des missionnaires amenés à se rendre dans des lieux très reculés du pays.

Le mal du pays n’est évidemment pas étranger à l’apparition du vague à l’âme et de la nostalgie que peuvent éprouver certains militaires expatriés. C’est pourquoi le déracinement est aussi propice au rapprochement communautaire et à l’entre soi, surtout dans les villes où la présence française n'est pas très importante comme à Beijing. C'est ce que souligne L'Ancre de Chine en insistant sur la vertu consolatrice du "Foyer du soldat" : "Dans la vieille capitale la colonie française n’est pas très importante ; les amusements pour les troupiers peu variés. Pour chasser le “cafard”, cet ennemi qui guette le soldat aussi bien en Extrême-Orient qu’en Afrique, il a fallu s’intéresser à lui d’une façon toute particulière en lui offrant, au quartier même, des possibilités de détente et de délassement qui sont sont à la base de la conservation du moral. Un Foyer du Soldat où européens et annamites trouvent à bon compte des consommations et tous les menus objets dont ils ont besoin leur est affecté, ainsi qu’une salle de correspondance où, dans une atmosphère de repos, chacun peut écrire à sa famille ou à ses amis."^[2].