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Historiographics

Un champ d'exploration pour des narrations alternatives à dominante visuelle

Cécile Armand, Author
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Graphic History - Saison 1/épisode 2 - Modéliser par le dessin ?

Poursuivons notre réflexion épisodique sur les possibilités d'une histoire(s) graphique(s)...

Si l'on considère la bande dessinée comme une source d'inspiration possible pour la narration historiographiques, force est de constater les multiples possibilités qu'offre cet « art » par la diversité des formes, des « genres », des supports multiples et hybrides qu'il peut revêtir, car ses frontières poreuses sont ouvertes à de multiples circulations, car il est l'objet de perpétuelles mutations et reconfigurations :
  • la bande dessinée « classique » (à supposer que cet adjectif ait un sens...) - disons la bande dessinée telle que nous la concevons ordinairement, de manière intuitive (automatiquement associée à ce que nous percevons comme de grands "classiques", comme Tintin ou Astérix...)
  • le roman photo – un genre « ancien » qui a connu un déclin relatif mais semble susciter ces dernières années un regain d'intérêt
  • le roman graphique (graphic novel): ce "genre" attire l'attention sur le potentiel du dessin, de l'art graphique pour l'historien – un art souvent jugé mineur, trivial, méprisé au détriment de sa grande sœur la peinture, qui monopolise les lettres de noblesses : pour l'histoire de l'art « canonique », le dessin n'aurait qu'une valeur préparatoire, serait voué à une rapide obsolescence, toute orientée vers la réalisation du chef-d’œuvre (nécessairement pictural). Il n'aurait aucune existence autonome, ne saurai prétendre à l'autonomie, il n'existerait que par et pour l’œuvre picturale. Il existe incontestablement une hiérarchie plus ou moins explicite entre le dessin (et plus encore le croquis, l'esquisse, l'étude ou le « brouillon ») considérés comme « inférieurs », d'un côté, et la peinture ou l'oeuvre en général, de l'autre, admirée comme une fin en soi et comme supérieure à son supposé « brouillon ». Cette réflexion soulève trois questions relatives à nos préoccupations historiographiques :

Le dessin, procédé de modélisation scientifique ?


Comment l'historien peut-il se (ré)approprier cet art méprisé qu'est le dessin : comme un mode, un procédé pour se (ré)approprier et (re)travailler le matériau « brut », l'image ou le document source, en le modélisant ?

D'abord en faisant du dessin l'équivalent de la modélisation scientifique : un procédé de modélisation pour l'historien : avec trois vertus, trois intérêts, trois potentialités qui rejoignent les critères de définition de la modélisation scientifique, les trois conditions auxquelles elle doit répondre :
  1. Epuration - extraction - essentialisation de la réalité (historique) : opération qui consiste à retenir l'essentiel, à extraire l'essence de la réalité (historique), à la simplifier = processus de conceptualisation
  2. Stylisation – interprétation : opération qui consiste déjà à créer, à (ré)interpréter ou se (ré)approprier la réalité, à en proposer une interprétation, une vision (du monde), à formuler une ou des hypothèses interprétatives = une herméneutique (historique) déjà
  3. Expérimentation : opération qui retrace plus fidèlement et sans souci de raffinement ou de mystification le cheminement de l'historien, sa démarche et sa quête, sans chercher à en éliminer les imperfections et en effacer les hésitations, en reproduit l'aspect brouillon = conserve le work in progress, nous fait pénétrer dans l'atelier ou la fabrique de l'historien, nous révèle l'histoire en train de s'écrire ou de se faire, montre que l'histoire est un « faire » et un processus de production (Michel de Certeau) – le dessin comme caisse d'enregistrement, comme mémoire de la quête historique, comme la Time Machine de l'historien = équivalent du brouillon ou des notes dans l'écriture (textuelle).

Le carnet de croquis, mémoire du processus de recherche historique ?


Le dessin est une bonne source d'inspiration pour établir des modèles ou patrons publicitaires : le modèle pouvant être réalisé à la main (faire un carnet de croquis ou d'esquisses) et/ou avec un outil informatique plus ou moins rudimentaire (de type "Paint") – s'inspirer des carnets de croquis et de travail des écrivains ou des artistes et dessinateur...



Revaloriser le dessin... pour expérimenter une graphic history


Si l'on file ce parallèle entre dessin et modélisation scientifique : quel statut accorder au dessin – à la modélisation historique graphique, par rapport respectivement à la peinture et au récit ou discours historiquement final (qu'il soit textuel ou visuel)

Faut-il maintenir la hiérarchie canonique en considérant la modélisation graphique comme un simple brouillon, un simple travail préparatoire, une esquisse ou un brouillon qui n'aurait pas d'existence en soi, et devrait nécessairement être épuré de ses ratures et « raffiné » (refine – renvoie à "Google Refine" – data cleansing en général) sous la forme d'un récit historique net et lisse ? Ou bien faut-il considérer le dessin comme une fin en soi, lui reconnaître un statut autonome et une valeur propre, ce qui revient à accorder de la valeur au processus de recherche historique « brut », ses hésitations et ses méandres, ses incertitudes et ses tâtonnements, à la logique processuelle et imprévisible de la quête historique (et de toute recherche scientifique au fond) – un hommage à ce « work in progress », sans chercher à en gommer les ratures ou en effacer les imperfections ? Ne faut-il pas réhabiliter et redonner ses lettres de noblesse au dessin – et par là même au labeur de l'historien, à la dimension processuelle et parfois laborieuse de son travail et son écriture, c'est-à-dire ne pas fermer les portes de l'atelier ou la fabrique de l'historien ?

Olivier Jouvray (auteur de la Revue dessinée) évoquait à juste titre le pouvoir magique du dessin (par opposition à la photographie - mais peut-être parce que la photographie s'est banalisée depuis, et qu'en retour, un certain "fétichisme" du dessin se fait jour par nostalgie...) ? Le dessin fascine car il est pouvoir d'interpréter, de capter l'essence des sujets ou des objets dessinés : il est un reflet plus "vrai" qu'une photographie car on en tire l'essence d'une personne.
  • bande dessinée numérique – aux confins de nombreux « genres » ou « arts » : la bande dessinée, le roman graphique, du roman photo, le cinéma, la série télé ou le jeu vidéo (Plastic Dogs), avec deux types principaux, deux « modes de production » différents :
  • BD numérisée (digitized) : numérisation ex post d'un travail graphique (manuel - « traditionnel » - « artisanal ») préalable, le format numérique n'étant qu'un simple support ou réceptacle d'un travail qui reste « classique », même si la production peut en retour être impactée le support = ici le « nouveau » (numérique) s'empare de l'ancien pour le retravailler et le renouveler, mais la « main » et l'humain restent premiers (au double sens de précéder et de primer)
  • BD numériquement née, créée ou générée (digital-born) par l'outil numérique lui-même, avec là encore deux options :
  • entièrement auto-générée par la « machine » ou l'outil à partir d'une base (de données) et d'une recherche aléatoire à partir d'un ou de mots clés ou catégories et au moyen d'un ou d'algorithmes – renvoie à notre idée de séries auto-générées
  • partiellement auto-générée : en partie générée par l'humain, l'auteur ou l'historien qui intervient davantage et reste « maître » du processus de production de la série ou du récit, du processus génératif d'écriture. 
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Discussion of "Graphic History - Saison 1/épisode 2 - Modéliser par le dessin ?"

Graphic History - Saison 1/épisode 3 - Carnets de croquis

J'ai beaucoup hésité à publier ce billet. Longtemps je l'ai laissé croupir sur mon "dashboard", à l'état de brouillon préservé des regards des regards indiscrets... Par pudeur, peut-être, par doute, surtout, quant à sa pertinence et son intérêt "scientifique" ou méthodologique. J'étais sur le point de le jeter aux oubliettes du web, mais... j'ai fini par me convaincre (péché d'orgueil, ou indéfectible attachement à la figure de "l'auteur" et une auctoritas dont on annonce souvent la désagrégation numérique ?) que ce billet pourrait un jour fournir aux historiens du web, spécialistes du blogging scientifique et autres chasseurs d'écritures "hors du livre" et des institutions, de quoi se mettre sous la dent... L'élément déterminant de mon passage à la publicité a surtout été ma rencontre heureuse - un exemple de ce principe de sérendipité fort à à la mode ? - avec un certain George Maciunas, et en particulier avec son Atlas historique de la Russie, qui venait à point nommé nourrir mon projet de "Graphic history". Il faisait étrangement écho à certaines réflexions que j'essayais récemment de formuler tant bien que mal dans un langage graphique balbutiant.

Ne plus chercher à mettre en forme - ou plutôt à (y) mettre les formes (académiques j'entends). Après tout, il y a la thèse, le mémoire, l'article scientifique pour cela. Ici : la paix. Silence. Respiration. On n'aime pas les bavardages - les conventions. Ne plus mettre les formes. Partir du présent, de l'intuition, de l'expérience immédiate. D'instantanés. De fragments. Quitte à procéder ensuite par collage, montage, rapiéçages. A partir de "copier-coller" selon la logique de l'association d'idées ou plutôt d'images, de morceaux de réflexion antérieurs - peu importe leur ordre d'apparition, leur date d'émergence dans nos esprits. Refuser la rétrospection chronologique.

Partir de l'instant donc. Mais quel est cet instant, ici même ? J'ai enfin pris l'initiative de me procurer un carnet de croquis. Il est là, devant moi, comme un défi, un appel, ses pages encore blanches, qui attendent un geste de ma part, et qui me posent deux questions :

1) Pourquoi suis-je là ? D'où viens-je ? Comment ai-je atterri sur ton bureau ? Cette question des origines qui me porte à un premier rapiéçage : au copier-coller d'une réflexion antérieure sur ce projet encore vague alors, mais qui se précise et va prendre corps avec ce tas de feuilles blanches, ce projet de "graphic history".

A défaut de trouver une fonctionnalité adéquate dans Scalar par manque de pratique, je copie-colle ici ladite pensée antérieure et révèle par là même l'artifice : où l'on voit que je ne fais même pas l'effort de mise en forme, de reconstitution (nécessairement artificielle, rétrospective) de mon itinéraire de pensée. Laissons-la s'exprimer et se déployer librement, par poussées de croissances, décroissances et excroissances parfois, sans chercher à la contenir, la détourner, la canaliser, ne pas contrarier ses expansions ou rétractations, laisser libre la pensée vive et vivante, ne pas l'emprisonner dans le carcan de la rhétorique universitaire :

...le roman graphique (graphic novel): ce "genre" attire
l'attention sur le potentiel du dessin, de l'art graphique pour
l'historien – un art souvent jugé mineur, trivial, méprisé au détriment
de sa grande sœur la peinture, qui monopolise les lettres de noblesses :
pour l'histoire de l'art « canonique », le dessin n'aurait qu'une
valeur préparatoire, serait voué à une rapide obsolescence, toute
orientée vers la réalisation du chef-d’œuvre (nécessairement pictural).
Il n'aurait aucune existence autonome, ne saurai prétendre à
l'autonomie, il n'existerait que par et pour l’œuvre picturale. Il
existe incontestablement une hiérarchie plus ou moins explicite entre le
dessin (et plus encore le croquis, l'esquisse, l'étude ou le «
brouillon ») considérés comme « inférieurs », d'un côté, et la peinture
ou l'oeuvre en général, de l'autre, admirée comme une fin en soi et
comme supérieure à son supposé « brouillon », etc...

2) Que vas-tu faire de moi maintenant ? Comment vas-tu procéder, quelle méthode vas-tu adopter pour dessiner ? Dessiner : mais quoi et comment ? Vais-je dessiner l'ensemble de l'image publicitaire ou bien certains de ses éléments seulement : croquis d'ensemble ou étude de détails ? J'imagine aussi une image découpée, découpable, décomposable, recoupable et recomposable à l'infini. Une image dont la décomposition même structurerait le récit historique à venir - comme dans cet itinéraire visuel, ce récit-image(s) que propose l'anthropologue Michel Plattet dans son article sur les Inuits publiée par la revue en ligne Ethnographiques.org. Un itinéraire plutôt qu'un récit : l'arborescence plutôt que la ligne. Où l'image disloquée, par sa dislocation même, guide l'itinéraire, dicte le discours.



Mais comment passer du statique - de l'instantané - au dynamique - la séquence, la série - la bande (dessinée) ? De l'élément ou du détail à l'ensemble ? Du dessin (isolé) à la bande dessinée proprement dite ? Comment recomposer après avoir décomposé ? Comment recoller les morceaux disloqués - comme dans le mythe d'Osiris ? Dessiner un élément par page puis faire tourner les pages rapidement, pour faire défiler les images qui s'animent alors. L'avantage du cahier à spirale qui par le mouvement des pages transforment l'image en séquence, en histoire, en film. Comme dans ce jeu simple qui permet de redécouvrir "l'invention" du dessin animé.

3) Une autre question s'impose : comment passer du croquis ou de l'esquisse (plus proche de l'art et du brouillon - équivalent de l'intuition historienne) au dessin affiné, raffiné, finalisé, retouché (sans être l’œuvre définitive ou achevée toutefois) - équivalent de la conceptualisation ou la modélisation chez l'historien ? Donner le coup de crayon qui met en exergue, fait émerger et ressortir les traits les plus saillants, comme l'essence de la réalité historique, et dessine ainsi les contours de ce "modèle" recherché (modèle au double sens de "patron", motif, mais aussi de modélisation scientifique), par un processus d'essentialisation, d'épuration, de purification même. Essayer la même méthode : crayonner sur une page, réaliser un croquis, puis réaliser un dessin un peu plus finalisé sur la page suivante, encore plus finalisé sur celle d'après et ainsi de suite, puis faire tourner les pages pour observer le processus de modélisation en cours - la science en train de s'écrire ou plutôt se dessiner ? Retracer par le dessin - technique a priori "rudimentaire" voire archaïque - les phases successives du processus menant de l'intuition (par coups de crayon grossiers) à la conceptualisation (l'image nette et précise, obtenue par affinement des traits primitifs, en réhaussant les contours, en faisant les ombres, appuyant les points saillants, relevant l'éclat d'un regard par une pointe de crayon blanc- comme le fit devant mes yeux éblouis le dessinateur du "Printemps des Arabes". Puis tourner les pages encore, pour reconstituer ce processus, visionner comme un film l'histoire en train de s'écrire. Une historiographie dessinée. La mise en dessins, mise en bande dessinée de l'histoire, du récit historique en train de s'écrire.

Posted on 1 January 2014, 3:17 am by Cécile Armand  |  Permalink

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