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Historiographics

Un champ d'exploration pour des narrations alternatives à dominante visuelle

Cécile Armand, Author

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Composition 3 (d'après Li Huai) - Palimpestes

Legacy : tel est le titre donnée par Li Huai à sa série photographique. Legacy : héritage, legs, traces. Les "traces", sous des formes diverses, sont omniprésentes sur les photographies de Li Huai. Tout comme les murs qui les portent. Murs et traces sont indissociables. Deux motifs obsédants, entre répétitions et variations.

J'insiste ici sur le mot "trace", qu'il faut prendre d'abord dans un sens très littéral : ces traces bien matérielles que sont les inscriptions et les slogans politiques éculés qui scarifient comme des stigmates la chair des murs. Ces murs ont à mes yeux un air de famille avec les affiches publicitaires murales. Pour ce diptyque photographique, j'ai volontairement choisi une publicité pour l'apéritif "Mandarin" en raison des connotations sinisantes, et du choc sémantique entre la mention du "socialisme" sur la photographie de Li Huai, et de l'évocation de la période impériale peuplée de mandarins, sur la publicité murale - autre anachronie photographique qui met en scène une lutte entre deux systèmes politiques. Si les murs sont des supports extérieurs évidents pour les publicités, la page du journal fait également office de "mur" de papier pour les publicités de presse, qui constituent une part importante des sources pour ma thèse, par leur effet de collage ou de montage, juxtaposant et superposant parfois des couches de temps, de sens et de cultures diverses. Car les traces sont à prendre au sens symbolique, également. Traces laissées sur un mur qui devient lui-même un lieu sensible et un support d'incarnation pour les souffrances et les mémoires humaines : plaque sensible de la photographe, peau et corps des hommes aujourd'hui disparus, empreintes et souvenirs irrégulièrement imprimés dans la mémoire des vivants - qu'ils soient chinois ou étrangers. Un patrimoine à la fois matériel et immatériel.

Les murs sont comme des palimpsestes. Ou presque : car les strates inférieures ne sont jamais totalement effacées par les nouvelles couches qui tentent en vain de les recouvrir. Il reste toujours des traces (plus ou moins) visibles : voir ces taches de peintures blanches trop grossières pour effacer le passé plus ancien. Le motif de la tache est explicitement présent dans le travail de Li Huai, dans les légendes mêmes de certaines photographies ("blotches", "stains"). Les taches sont aussi des traces, car l'histoire, ce n'est pas toujours propre. Des taches qui ont fonction à la fois d'occultation et de monstration : comme les parenthèses dans un texte, elles attirent autant l'attention qu'elles cherchent (vraiment, sincèrement ?) à cacher ce qu'elles enrobent ou recouvrent. La tache est très proche de l'empreinte au fond - autre déclinaison de la trace. Car l'empreinte a toujours deux facettes : elle est à la fois un trou, un vide, un creux, la marque d'une absence, que l'historien tente de faire "parler" lorsque sa documentation est lacunaire. Mais elle est aussi toujours un plein : la trace d'un passage, la marque d'une présence passée, l'ombre d'une vie révolue, et finalement le discours que l'historien tente tant bien que mal de construire à partir de ces creux, ces silences et ces interstices de l'histoire - qui ont parfois plus à nous apprendre que les (trop)-pleins...

Si l'on m'autorise une nouvelle dérive très égo-centrée vers mon sujet de thèse, les murs publicitaires eux-mêmes se dressent comme d'immenses palimpsestes au cœur du paysage urbain : sur le mur, les publicités se succèdent, selon un cycle de vie assez monotone. Après la pose et l'exposition, le temps de "l'apogée" visuelle et médiatique, vient le temps du déclin, de la dégradation graduelle sous les intempéries, ou la destruction plus radicale par arrachage, quand ce n'est la disparition cumulative par recouvrement sous les couches de publicités plus récentes - ou plus puissantes - par des graffitis ou comme ici par une brique en trompe-l’œil. L'obsolescence programmée de la publicité en fait un "art" de l'éphémère - que certains photographes urbains immortalisent parfois par hasard ou par nostalgie.

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